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Virus de Zydeco
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Le dernier Virus de Zydeco était axé sur des chroniques d'albums. La vivacité de la production du genre étant ce qu'elle est, plutôt que de vous faire un autre cours d'histoire, nous continuons dans cette voie cette fois-ci encore, sans pour autant caresser le vain espoir d'être exhaustifs. Voici donc ce que nous proposons à votre gourmandise.
DWAYNE DOPSIE AND THE ZYDECO HELLRAISERS
"After The Storm"
Autoproduction (2005 ~ 53:07)
Dwayne Dopsie est un digne héritier de la dynastie Rubin plus connue sous le nom de Dopsie. Fils de feu Rockin' Dopsie et frère du frotteur Rockin' Dopsie Jr, c'est un accordéoniste virtuose entouré d'un groupe percutant qui privilégie les morceaux énergiques. Cela dit, Dwayne sort des albums "faits à la maison" dont certains sont des chefs d'œuvres… mais pas celui-ci. Non que la musique n'y soit superlative, au contraire ! Mais alors qu'est-ce qui cloche avec cet album ? Et bien tout ce qui n'est pas le concert lui-même. C'est enregistré comme le plus tarte des pirates, le son est naze, particulièrement celui, aigrelet, de son accordéon. C'est produit avec les pieds, comme si tout avait été enregistré sur DAT, ou pire sur cassette, avec impossibilité de remixer, de masteriser, bref, c'est pire que brut de fonderie, il y a des garage-bands qui font mieux juste pour impressionner les filles. Les coupes entre les morceaux sont des coupes franches, au milieu d'une phrase, sans le moindre fade out. Bref c'est très très mal foutu. Une fois que vous saurez ça, il vous restera à décider si ça vaut un achat (ah parce qu'ils le vendent, ça ?), sachant que le concert, lui, est du feu de dieu. Par contre, si vous n'avez aucun album de l'accordéoniste aux yeux de chat (il porte des lentilles spéciales), optez plutôt pour Now It Begins, son premier album, époustouflant, et terminé avec beaucoup plus de soin, ou Dopsie Strikes, son second, presque aussi bon que le premier. Par contre, si vous êtes un inconditionnel, alors vous ferez l'impasse sur les défauts pour vous régaler de ce gig qui a dû agiter copieusement le public qui y assistait. A vous de voir.
DONNA ANGELLE & THE ZYDECO POSSE'
"Workin' It"
MTE Records - MTE 5085 (2006 ~ 43:22)
Si on aime la soul et le zydeco, on ne peut qu'aimer Donna Angelle. Cinquième CD de la chanteuse accordéoniste, Workin' It s'est débarassé des effets de mode du précédent album, comme le vocoder (et oui, chez les jeunes artistes de zydeco, le vocoder était à la mode au début des années 2000. Etonnant, non ?) pour se concentrer sur une musique sans artifice, honnête, sans autre ambition que de vous faire passer un bon moment. Comme elle le chante elle-même dans Creole Woman : "Je ne prétends pas être la meilleure, mais je vous garantie que je peux vous faire groover". On lui envoie pas dire. C'est dans sa reprise de I'd Rather Go Blind que Donna démontre ses influences soul, une version certes moins ambitieuse que celle de Koko Taylor, mais pourtant supérieure justement par son honnêteté. Car la voix de Donna Angelle y est naturellement puissante, sans le côté comédienne qu'y applique la Queen of the Blues, et c'est beaucoup mieux ainsi, l'émotion n'en étant que plus vraie. Un des "highlights" de cet album restera certainement Old Man Sweetheart avec son clin d'œil à Boozoo Chavis que personne, dans le circuit zydeco, n'a oublié. Plutôt que de s'adonner à l'hommage emprunté généralement de mise quand on chante un héros disparu, Donna préfère, avec humour, nous avouer qu'elle veut un homme comme Boozoo, avec son grand chapeau et ses bottes de cowboy. Ce Workin' It est le type d'album simplement sympathique à la première écoute qui croît (du verbe croître, tas d'ignares ! Bien que les corbeaux soient à la mode en ce moment, rien à voir avec Mireille "Ouiiiiiiii, je crôaaaaaaaaaaa" Mathieu !) à chaque nouveau tour dans la platine CD. Une réussite, en fait. Et une artiste, qui, l'air de rien, est en train de se tailler une belle réputation dans un milieu où les femmes sont encore en minorité.
BRIAN JACK & THE ZYDECO GAMBLERS
"To Be Continued…"
BJZG Records (2006 ~ 51:56)
Les albums de Brian Jack se suivent et ne se ressemblent pas, ou du moins, pas vraiment. Car si on reconnaît sa signature musicale, à chaque nouvel opus, l'évolution est perceptible, évidente même. Est-ce par goût personnel ou bien le jeune homme est-il un malin ? Toujours est-il que son style, moins orienté hip hop que celui d'un J-Paul Jr, moins traditionnel qu'un Keith Frank quand ce dernier choisit cette voie, moins Zydeco Nouveau qu'un Chris Ardoin, se situe quelque part entre ces trois-là qui, comme par hasard, occupent les trois marches du podium auprès du jeune public zydeco, le plus propre à offrir à Brian Jack la reconnaissance qu'il mérite. Et que croyez-vous qu'il est en train de se passer ? Et oui, le grand garçon est en passe de devenir la "nouvelle star" des jeunes Créoles de Louisiane et du Texas, là où la scène du Zydeco Nouveau est la plus vivace, au risque de détrôner les champions actuels du circuit précités. Oui, mais, et le disque ? Et bien c'est simple : accordéon virtuose, guitare de haut vol, rythmique en béton, du double-kicking cher à Beau Jocque au ska en passant par des choses plus classiques, c'est de la musique de danse à faire bondir dans les airs un Tonton Eric (clin d'œil à un collègue apprécié) qu'on imagine bien lancer sa canne en criant au miracle comme on l'a vu faire pour un concert d'Egidio Ingala. Bon, c'était du jump, mais la joie de vivre est la même. Alors pour laisser le bon temps rouler, optez pour le nouveau Brian Jack & the Zydeco Gamblers, en attendant le prochain. En d'autres termes : à suivre… (en anglais : to be continued…).
DIKKI DU & THE ZYDECO KREWE
"Straiten It Out"
Autoproduction (2006 ~ 44:23)
De son vrai nom Troy Carrier, Dikki Du est le jeune frère de
Chubby Carrier, géant de la scène zydeco actuelle, et le fils de la légende
vivante Roy Carrier. Le frotteur de son groupe n'est autre que son jeune frère
Neal Carrier. Quand on vous dit que c'est une histoire de dynasties ! Moins
"brut de fonderie" que son père, quelque part entre Clifton Chenier et la
musique La La, moins "rouleau compresseur" que son frère aîné, du genre roi de
la fête avec ses cuivres percutants et ses rythmes funky, Dikki Du n'en reste
pas moins un sérieux client qui s'affirme d'album en album (c'est son
troisième). Ce nouveau volet, dédié à son ex batteur et son ex guitariste, tous
deux décédés lors d'un accident de la route en 2001, pourrait bien être celui de
la maturité pour le jeune Carrier. En tous cas, les treize titres qui le
composent sont tous excellents, avec bien sûr pour point d'orgue Carrier
Family Jam pour lequel le leader du Zydeco Krewe a invité papa Roy et frérot
Chubby pour une accordéon extravaganza qui décoiffe grave ! Et si Dikki Du n'a
pas encore acquis l'expérience de son père ni atteint l'éclat de son grand
frère, voilà un album qui fait du bien, évidemment recommandé. Un garçon à
suivre…
T-BROUSSARD & THE ZYDECO STEPPERS
"Knock Knock"
Soulwood Records - SWR06 (2006 ~ 57:31)
La chronique de son précédent CD, Git It On, Git It On, dans le regretté Rollin' & Tumblin', lui reprochait une certaine uniformité dans les morceaux confinant à la monotonie. De ce côté, le progrès est notable. Pas deux titres identiques dans ce nouvel album. Cette même chronique émettait aussi de sérieuses réserves sur le chant de T-Broussard. Entre temps, il n'est devenu ni Caruso, Ni Big Voice Odom, ni (mettez ici le nom d'un grand chanteur de votre choix), mais bon, là aussi, il y a du progrès, c'est certain. Est-ce l'influence de Keith Frank, qui produit et joue de la guitare sur le disque ? En tous cas ce dernier doit croire en T-Broussard pour l'aider comme ça. A l'écoute de l'album, on se dit que finalement, il n'a peut-être pas tort, le Keith. Et si le résultat n'en fait peut-être pas l'album de l'année, il est loin d'être désagréable. Il est même pas mal du tout, en tous cas beaucoup mieux que le précédent. Vous le tentez, ou vous attendez qu'il ait fini tous les progrès ?
JEREMY & THE ZYDECO HOT BOYZ
"Got To Find My Woman"
JereLeiso Records
(2005 ~ 43:47)
Autre jeune espoir, Jeremy Frugé, dix-huit ans, petit-neveu du grand John Delafose, a de qui tenir. Car si son jeune âge en fait un amateur de rythmes actuels à la Beau Jocque et autres Jo Jo Reed, l'influence familiale est bien là, et on retrouve John ou Geno Delafose au détour d'un riff d'accordéon, d'une phrase bien placée, bref le garçon connaît son zydeco, passé et présent, sur le bout des doigts. Malgré une voix encore quelque peu juvénile, Jeremy est un bon vocaliste, et c'est suffisamment rare chez ceux de sa génération pour être signalé. Les compositions sont originales, parfois même très originales, comme Grind On Me avec son refrain rappé et sa construction plutôt rare dans ce genre musical. Quoiqu'il en soit, classique ou moderne, Jeremy et ses Zydeco Hot Boyz assurent et, à n'en pas douter, leurs prestations doivent attirer les foules sur les pistes pas trop dévastées du côté des bayous. Car c'est un fait, ce gamin-là est très prometteur.
CURLEY TAYLOR & ZYDECO TROUBLE
"Free Your Mind"
Louisiana Soul Records (2006 ~ Disc 1> 45:03 - Disc 2 > 18:26)
Après l'effet de bombe atomique produit par son premier album qui mêlait intelligemment zydeco et rhythm & blues, c'est peu dire que le nouveau Curley Taylor était attendu avec impatience. C'était sûr, on tenait là le champion d'une nouvelle vague zydeco, celui qui allait peut-être enfin faire le crossover. Celui qui, par la qualité de sa musique, allait conquérir les foules bien au-delà du public habituel des musiques créoles. Et quand par dessus le marché, ils ont appris qu'il nous préparait un double album, les fans n'en pouvaient plus de joie. Aussi quelle déception en découvrant que les deux disques auraient très bien pu tenir sur un seul. Soixante-trois minutes vingt-neuf au total, il n'y a là rien d'exceptionnel. Il y en a qui en faisaient autant du temps du vinyle (OK, c'était beaucoup plus rare à l'époque. Mais c'est arrivé). La raison de cette séparation ? Deux styles différents. Effectivement, ce n'est pas du tout la même chose sur le second CD. Si le dernier titre est une espèce de blues jazzy un peu variété à la Steely Dan (plus ou moins, c'est juste pour situer), malheureusement accompagné par une boîte à rythmes (ou une batterie électronique ?), les trois morceaux qui le précèdent sont exactement le genre de soupe infâme dont la bande FM tente de gaver tout l'Occident (et plus) dans le but mal dissimulé d'en faire un troupeau de consommateurs écervelés totalement soumis à la "muzzak" de Big Brother. Bref, une belle daube que ce disc 2 (et encore, la daube, c'est bon !) Encore heureux que le prix reste celui d'un simple CD. Bon, et la musique du CD 1 alors ? Et bien comment dire ? Soyons juste, c'est loin d'être mauvais. Mais ce garçon , avec son Country Boy paru en 2003, semblait l'initiateur d'une véritable révolution musicale, avec un son bien à lui, un groove jamais entendu ailleurs, et le tout de qualité supérieure. Alors fatalement, l'entendre faire aujourd'hui ce que des tas d'autres ont fait avant lui, ce n'est effectivement pas mauvais, mais c'est loin d'être ce qu'on en attendait. Difficile de ne pas parler de déception dans ces conditions. Alors on fait quoi ? On lui achète, son disque, ou pas ? Un conseil, si vous ne l'avez pas déjà, préférez-lui Country Boy. Maintenant, si vous avez déjà ce premier album, vous pouvez effectivement donner sa chance à celui-ci. Mais surtout ne vous attendez pas à une suite du premier, la surprise serait désagréable. Par contre, si vous n'attendez rien d'autre qu'un bon CD de zydeco actuel (on parle toujours du CD 1), alors oui, allez-y, parce que c'est exactement ça. Et pas autre chose.
CJ CHENIER
"The Desperate Kingdom Of Love"
World Village Music - World Village 468041 (2006 ~ 43:07)
Une autre surprise, c'est ce nouvel album de CJ Chenier. A plus d'un titre d'ailleurs. D'abord, il a changé de maison de disques, après des années chez Alligator. Ensuite, exit son groupe The Louisiana Red Hot Band hérité de son père, remplacé par The Fry Pharmacists : Scott McEwen à la basse, Adam Mujica à la batterie, Jean Falconetti aux guitares, avec l'ajout de Joe Deleault au piano. CJ, en plus du chant et de l'accordéon, joue du piano électrique, de l'Hammond et du frottoir. Et puis cette couverture : un digipack avec un graphisme dans le plus pur style blaxploitation. Et enfin la musique. On a parfois reproché à CJ Chenier d'être trop rock (ah bon ?!?) ça ne risque pas d'être le cas cette fois-ci. En effet, le fils du King of Zydeco nous avait habitué à des albums pétant le feu. Ici, il est beaucoup plus calme. En même temps, ce disque a été enregistré après Katrina, ceci explique peut-être cela. Et puis surtout, il y a ce premier titre, The Desperate Kingdom Of Love. C'est un exercice périlleux que de commencer un album avec une ballade mélancolique. Le même morceau au milieu du CD, ou dans le cours d'un concert, passerait mieux, parce qu'on a eu le temps d'entrer dans le propos de l'artiste, et le fait d'ajouter une nouvelle couleur au tableau ne saurait gâcher l'œuvre : c'est toujours le même tableau. Mais là, en ouverture d'album, c'est pour le moins surprenant, et du coup plus difficile d'accès. Cependant, après plusieurs écoutes, on s'aperçoit que ce nouveau recueil est chargé d'une émotion qui, petit à petit, vous gagne. Pour finalement se dire que non, le Clayton Joseph, il n'a pas raté son coup. Loin de là, même. Quelques ballades, une bonne dose de blues, un boogie bien enlevé histoire de ne pas laisser retomber la sauce, dont quatre compos originales, quatre reprises paternelles et trois autres dues aux plumes de PJ Harvey, Hank Williams et Van Morrison, et tout ça vous compose un petit album qui grandit, grandit et grandit encore dans l'estime de l'auditeur au fur et à mesure des passages par la chaîne. Ce n'est plus la fougue de la jeunesse de ses premiers enregistrements, mais c'est peut-être une étape sur le chemin de la sagesse et de la maturité. Rassurez-vous, rien d'ennuyeux dans tout ça. Malgré les événements tragiques de l'été dernier, c'est toujours du zydeco, mais un zydeco adulte, en quelque sorte. On fait toujours la fête, mais avec quelque chose de plus posé. De plus profond, peut-être. Evidemment, voilà un disque qui demandera plusieurs écoutes avant d'espérer apprivoiser l'auditeur. Mais si ce dernier veut bien de ce deal là, alors c'est une relation durable qui risque fort de s'établir entre l'homme et la musique.
NATHAN & THE ZYDECO CHA CHA'S
"Hang It High, Hang It Low"
Rounder Records - 11661-2164-2 (2006 ~ 57:36)
Et le meilleur pour la fin. Nathan Williams ne nous avait plus sorti d'album depuis belle lurette, eh bien l'attente est fort bien récompensée. Ça commence très très fort, avec un Old Man Darling à couper le souffle, le genre de truc qui vous rappelle qu'il s'agit là de musique noire ! Un rythme entre le funk et le rhythm & blues avec des riffs d'accordéons à la fois hachés et virtuoses, une basse obsédante, un peu comme si le zydeco avait piqué au vieux blues son cliché du train et l'avait modernisé : c'est le TGV Sud-Est (des US, bien sûr) qui fonce à tout berzingue, ce truc ! Histoire de nous remettre de nos émotions, Nathan nous balance un Fa Fa Fa Fa Fa bien différent de la version d'Otis Redding : le sien est tout guilleret, comme une bouffée d'air frais après la suée qu'on vient de se prendre. Mais c'est le meilleur moyen de se choper la crève, alors il enchaîne avec un lourd shuffle obsédant, chaud comme un feu qui crépite dans l'âtre, on risque pas de prendre froid. Des titres, il y en a quatorze, pour pas loin d'une heure de zydeco, alors on va pas tous les énumérer, c'est pas un concours non plus, sans blague. Sachez que tout est bon dans cet album. Digne héritier, au moins spirituel, de Clifton Chenier, Nathan Williams est un maître de l'accordéon zydeco, du côté le plus moderne du classicisme (pas country, quoi), suintant le blues par tous les pores derrière ses lunettes noires, oscillant entre grooves chaloupés et titres lancés à tombeau ouvert, le tout avec des Zydeco Cha Cha's (encore une famille, pour l'essentiel) parfaits, bref le CD de la saison pour ce qui est du zydeco. Pas besoin de vous faire un dessin : si vous devez n'en acquérir qu'un seul, ne cherchez pas ailleurs, c'est celui-ci qu'il vous faut.
: RENÉ MALINES