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Depuis que "notre" Frank Goldwasser s'est installé à Portland, Oregon, la ville de Paul deLay et de Lloyd Jones, les amateurs de blues locaux sont ravis de l'aubaine. Au point que Greg Johnson, président de la Cascade Blues Association, lui a consacré un article paru dans le numéro 2, volume 20 de Blues Notes, leur publication, texte qu'il a gentiment accepté de nous laisser traduire pour le publier à notre tour.
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Comment un gamin d'Paris a rencontré le Blues.
Par Greg Johnson (traduit de l'anglais par René Malines)
Byrd Hale, célèbre présentateur radio de l'Université de Stanford, dit de lui : "Frank est un gars étonnant. Il n'y a pas beaucoup de blancs que je qualifierais de bluesmen. Les blancs n'ont pas ce droit, n'ayant pas vécu dans la peur d'être pendus, le fait d'avoir constamment la police sur le dos ou cueillir le coton. Ils ne sont même pas leurs descendants. Il y en a pourtant quelques-uns que j'appellerais des bluesmen. Paul Oscher d'abord, Paul Butterfield aussi, Charlie Musselwhite également. Mais de tous les plus jeunes, je dirais que seul Frank Goldwasser a le pedigree. Parce que lui, il a vraiment payé son dû".
Il n'a peut-être pas suivi le même chemin sur lequel la plupart des artistes traditionnels afro-americains ont pavé la route du blues, mais Frank Goldwasser a dû surmonter d'autres embûches. Car il s'est fait tout seul, il a traversé le carrefour qui se présentait à lui, et depuis plus de vingt ans, il a prouvé son appartenance à l'élite des guitaristes de blues d'où qu'ils soient.
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, Frank Goldwasser a toujours su qu'un jour il vivrait en Amerique. Cette idée lui a été imprimée dans la tête par son père dont la famille avait émigré à New York pendant deux courtes années à la suite de la seconde guerre mondiale. Pour des juifs polonais, survivants de l'Holocauste, partir aux Etats-Unis était chose courante à l'époque. Mais le grand-père de Frank n'aimait pas la vie à New York et ramena sa famille en Europe pour s'installer en France. Mais quoi qu'il en soit, ces deux années suffirent à enchanter le père de Frank. Alors tout jeune adolescent, il était fasciné par la culture américaine, fascination qu'il transmit plus tard à son fils sous forme de bandes dessinées, de films, et bien entendu de musique.
Frank n'avait que six ans quand son père lui donna ses premiers albums. C'était des collections de "Songs of the American Civil War," chantées par des artistes tels que Pete Seeger. Certainement pas le genre de musique qu'on s'attendrait à voir séduire un petit Parisien. C'est pourtant exactement ce qui s'est passé pour Frank. Ce devait être quelque chose que de voir ce petit Français aller à l'école en chantant "The Battle Hymn of the Republic" !
En grandissant, il entend les musiques populaires de son époque, mais rien qui n'attire vraiment son attention. En fait la musique est une chose à laquelle il ne pense pas plus que ça. Jusqu'à ce que, bien sûr, il rencontre le blues.
C'est vers le milieu des années 70 que pour la première fois Frank achète un album. C'est "Natural Boogie" de Hound Dog Taylor. Au départ, il n'accroche pas vraiment. Mais environ six mois plus tard, il l'écoute à nouveau. Et il est paralysé par ce son. Jamais auparavant il n'avait entendu quelque chose comme ça. C'est alors qu'il décide d'apprendre à recréer cette musique par lui-même.
Ses grand-parents avaient acheté une guitare à son père quand celui-ci était enfant. Un modèle classique dont papa Goldwasser n'a jamais appris à jouer. Mais cette guitare, se souvient Frank, a toujours été dans la maison. Maintenant que le voilà possédé par le blues, Frank commence à travailler l'instrument, cherchant à percer les secrets de cette musique magique. Toute sa vie, son père lui avait répété que c'était son rêve de voir un jour son fils jouer de cette guitare. Le rêve paternel devient réalité.
Etre pris de passion pour le blues à Paris au milieu des années 70, voilà un engouement difficile à assouvir. Frank décrit cette période comme une expérience assez solitaire. La ville ne propose alors qu'une ou deux boutiques où l'on trouve du blues américain, et elles sont tenus par des messieurs de 10 à 15 ans ses aînés. Mais ce sont des fans de blues, et très vite, ils deviennent ses premiers contacts pour ce style de musique. L'un d'eux se trouve être le rédacteur en chef de Soul Bag, le plus vieux magazine européen consacré au blues et à la soul qui organise également des concerts de blues avec des artistes américains en tournée en Europe, généralement des têtes d'affiches des festivals américains. Le père de Frank amène son fils à ces événements, et celui-ci se souvient que le premier auquel il ait assisté, en 1975, était composé de musiciens de Chicago, avec pour tête d'affiche rien de moins que Muddy Waters. Cette aventure devient un rite annuel au cours duquel Frank essaie de rencontrer les musiciens. Très vite il peut même les rejoindre sur scène, tapant le bœuf avec des gens comme Sammy Lawhorn, Mighty Joe Young, Luther Allison ou Jimmy Dawkins.
Pour nombre de ceux qui découvrent le blues, la musique de Chicago semble être celle dont on tombe le plus facilement amoureux. C'est en tous cas manifestement la plus connue. Mais alors qu'il atteint tout juste ses 20 ans, Frank semble développer des attaches particulières avec le blues de la Côte Ouest des Etats Unis. Tom Mazzolini amène alors en France un package d'artistes du San Francisco Blues Festival, et Frank s'attache littéralement à la tournée. L'affiche est magistrale : Sonny Rhodes, Luther Tucker, Ron Thompson, Mississippi Johnny Waters, J.C. Burris et Little Willie Littlefield. Mais le public européen connaît peu ces artistes et les salles de concert sont quasiment vides, presque toujours. Ce qui ne dérange pas tellement Frank, qui du coup a tous ces musiciens pour lui..
A la fin de la tournée, la plupart retournent chez eux, mais Sonny Rhodes, lui, décide de s'attarder un peu. Il semble alors que où qu'aille Sonny, Frank est à ses côtés, s'octroyant le rôle de protégé de son aîné musicien. Aussi, quand Sonny décroche un gig alors qu'il n'a plus son band avec lui, Frank se voit proposer de jouer avec lui. C'est le premier véritable concert de Frank, en 1981.
Cependant, le rêve américain continue de consumer les entrailles de Frank. Amoureux du son des musiciens de la Baie, il décide que c'est là qu'il faut aller. Aussi demande-t-il à Sonny : "Tu penses que si je vais en Amérique, je pourrais y jouer ?"
"Oh yeah," dit Sonny. "Viens à Oakland." Alors Frank quitte l'école d'Art à laquelle il est inscrit et s'achète un billet d'avion pour San Francisco.
Il a un cousin qui vit à Oakland, le fils du frère aîné de son grand-père dont la famille avait également émigré aux USA après la guerre pour s'installer en Californie. Mais il n'y a eu aucune connexion avec la famille depuis plus de trente ans. Frank prend malgré tout contact avec son cousin, et à cette occasion apprend que c'est un homme de loi qui a eu plusieurs musiciens de blues pour clients. Celui-ci accueille Frank dans son appartement où il va vivre trois mois.
Peu de temps après son arrivée, Frank cherche à localiser
Sonny Rhodes, en vain. La seule personne qu'il connaisse vraiment aux USA est
introuvable. "Ça c'est le blues," dira Byrd Hale. Alors Frank cherche le Eli’s
Mile High Club, un lieu dont Sonny lui a parlé avec enthousiasme.
Troyce Key, un guitariste West Coast bien connu qui a tourné avec le bluesman J.J. Malone dans les années soixante, en est le patron. Oakland et Richmond toute proche sont alors considérées comme riches d'extraordinaires bluesmen tournant dans toute la Baie. Mais la plupart des clubs, Eli’s inclus, sont presque uniquement fréquentés par une clientèle Afro-Americaine et peu de musiciens blancs y sont les bienvenus. Il faut y prouver sa valeur.
"J'ai récemment interviewé le bassiste Henry Oden," remarque Byrd Hale. "Il m'a dit que dans certains de ces clubs d'Oakland et Richmond, si vous montiez sur scène et n'étiez pas très bon, le public vous confisquait votre instrument pour le tendre à quelqu'un capable d'en jouer correctement"
Frank commence à fréquenter Eli’s de façon régulière et se voit parfois invité à rejoindre le groupe sur scène. Les musiciens locaux sont vite très impressionnés par ce jeune blanc venu de France qui joue si bien le blues sur sa guitare.
"Je pense que Frank Goldwasser est un des meilleurs guitaristes de tout le circuit," dit le bassiste Johnny Ace. "Il a une super attaque, n'en met pas trop et il a le plus beau des cadeaux : un réel amour du vrai blues profond. Frank est un véritable artiste."
Frank commence à jouer régulièrement avec le groupe maison chez Troyce, et joue le dimanche avec le pianiste Omar Shariff. Une véritable école du blues, et il reçoit de plus en plus de support de la communauté blues. Cependant, au bout de trois mois, Frank doit rentrer à Paris. Malgré cela, ça ne fait aucun doute pour lui, il va s'installer définitivement à Oakland. Une nouvelle pas très bien accueillie par ses parents, mais conscients que tel est son désir, ils lui donnent leur bénédiction. Aussi, après une année passée à Paris, c'est pour de bon que Frank repart aux Etats Unis.
Dès son retour, il doit faire face à un obstacle de taille : son cousin se marie et ne peut plus l'héberger. Frank expose sa situation à Troyce Key qui lui propose une petite pièce à l'étage du club. Une pièce dans laquelle, bien qu'il l'occupe désormais, toutes sortes d'activités, légales ou pas, se déroulent. Une expérience assez dure, mais Frank la considère comme partie intégrante de son éducation blues. Cependant, après sept mois, il n'en supporte plus l'ambiance et déménage.
Pendant ce temps, son statut au sein de la communauté blues ne fait que se renforcer de jour en jour. Troyce Key n'est pas très content du guitariste maison dont il trouve le son trop propre alors que lui veut maintenir une qualité plus orientée "bas-fonds". Aussi lorsqu'il s'en sépare, c'est à Frank qu'il propose le poste. Incroyable, pour ce jeune Français de 23 ans tout juste descendu de l'avion deux semaines plus tôt, de se voir ainsi offrir le job de ses rêves ! Chaque vendredi et samedi soir, il se retrouve à jouer avec certains des bluesmen les plus en vue au monde, parmi lesquels Lowell Fulson, Jimmy McCracklin, Elvin Bishop, Percy Mayfield, Pee Wee Crayton, Big Mama Thornton, entre autres nombreux artistes régulièrement invités au Eli’s. Tout arrive si vite qu'aujourd'hui Frank se souvient à peine avoir joué avec tous ces gens, bien qu'il sache que ça lui est bel et bien arrivé.
C'est aussi Troyce Key qui donne à Frank Goldwasser son nouveau nom : Paris Slim.
Peu de temps après, Troyce commence à parler de mettre fin au groupe. Buvant beaucoup trop, récemment remarié, jouer de la musique n'est plus aussi satisfaisant pour lui. Frank en parle à l'harmoniciste Mark Hummel, ainsi que de son propre manque de confiance en lui. Après tout, il n'est toujours qu'un Français qui n'a rien à faire là à jouer ce genre de musique. Mark Hummel, qui a toujours encouragé Frank, lui dit :"Parle-lui. Dis-lui que tu veux le gig. Dis-lui que tu vas monter un groupe et qu'il te donne le gig. Tu peux le faire !"
Alors Frank va voir Troyce, et à sa grande surprise, celui-ci lui dit : "D'accord, tu as tous les vendredi et les samedi soirs". C'est alors que Frank monte la première incarnation du Paris Slim Band pour travailler en tant que nouveau groupe maison du Eli's et commence à faire la programmation du club avec accès illimité au carnet d'adresses de Troyce Key. S'il veut travailler avec quelqu'un de particulier, Troyce lui dit simplement : "Vas-y, prends-le". Alors il amène au club des gens comme Cool Papa, Sonny Rhodes et Joe Louis Walker. Les plus grands noms, comme Lowell Fulson ou Jimmy McCracklin, c'est Troyce qui les engage pour Frank. Ce gig régulier au club lui amène une plus grande exposition, et travailler avec Jimmy McCracklin lui garantit même un job de guitariste derrière le chanteur prolifique les soirs où il ne bosse pas chez Eli.
En Décembre 1984, le Paris Slim Band se rend au petit studio de l'harmoniciste Dave Wellhausen afin d'y enregistrer quelques pistes pour son nouveau label Back Track. Le groupe enregistre un 45 tours, une reprise du Guitar Shuffle de Lowell Fulson, avec Stranded en face B. Le single se vend bien dans la région de la Baie et retient même l'attention ailleurs.
Une paire d'années plus tard, alors que Frank et Byrd Hale font route vers le Jazz & Heritage Festival de New Orleans, ils s'arrêtent dans un petit club de blues de Phoenix. En jetant un coup d'œil au juke box, il voient le disque de Paris Slim dans l'appareil. Immédiatement, Byrd se met à dire à tous les gens présents que Frank est Paris Slim, mais personne ne le croit.
Quand il ne travaille pas au Eli, on peut voir Frank dans pas mal de clubs de la Baie. Il rencontre le guitariste Tim Kaihatsu qui organise les Blue Monday Parties au club de Larry Blake à Berkeley. Cette Blue Monday Party, comme Eli’s, attire bon nombre des meilleurs artistes de la région, tels Luther Tucker, Ron Thompson, Freddie Roulette ou Norton Buffalo. Avec ce gig hebdomadaire, il est devenu un tel pilier que lorsque Kaihatsu rejoint le groupe de Robert Cray, Frank devient également l'hôte de cet autre show populaire. Tim Kaihatsu est si impressionné par les prouesses guitaristiques de Frank que lorsqu'il entend dire que la légende de l'harmonica Charlie Musselwhite cherche un nouveau guitariste, il lui suggère Frank Goldwasser. Musselwhite l'appelle sans délai, mais Frank pense que c'est Mark Hummel, lequel a un talent sans pareil pour imiter les autres musiciens de blues, qui lui fait une blague. De plus, Musselwhite a toujours été une de ses meilleures imitations, aussi c'est tout naturellement que Frank pense que c'est Mark qui appelle. Alors Charlie donne son numéro à Frank et lui dit de rappeler s'il est intéressé. Du coup Frank y réfléchit à deux fois : "Et si c'était vraiment Charlie Musselwhite ? Est-ce que je ne viens pas de gâcher une chance inespérée ?" Il rappelle pour découvrir qu'en fait c'est vraiment Musselwhite qui l'a appelé ! Il prend le boulot et joue à travers toute la région avec Musselwhite toute l'année suivante. En quelques années, Frank joue dans toute la Baie. Il travaille avec le pianiste Mitch Woods, y compris lors de deux tournées à travers tout le pays, avec des shows à New Orleans et Austin au Texas. Pendant un temps, il est aussi le guitariste des Dynatones et travaille aussi avec le saxophoniste Terry Hanck.
Un autre show hebdomadaire dont Frank s'est fait une règle implique deux heures de route vers Occidental en Californie tous les jeudi. Sa principale motivation , c'est que le spectacle est conduit par Nick Gravenites qui a apposé sa marque dans le blues de Chicago avec ses amis Michael Bloomfield et Harvey Mandel. Gravenites a toujours été considéré comme une sorte de "Juif Honoraire" du blues, aussi, quand Frank se pointe, il est touché par ce jeune juif qui a fait tout le voyage de Paris vers l'Amérique pour jouer cette musique et le prend sous son aile.
En 1989, Gravenites est approché pour reformer l'Electric Flag, pour une série de shows commémorant le vingtième anniversaire de Woodstock, et il demande à Frank s'il veut bien y prendre la place de Michael Bloomfield. Bien des gens lui ont dit qu'ils entendent Bloomfield dans son jeu, bien que Frank n'ait jamais beaucoup écouté le guitariste disparu. Il ne s'agit que d'une coïncidence. Sachant qu'il va devoir remplir ce rôle, plusieurs personnes lui font part de l'énorme responsabilité que cela implique. Eddie Van Halen et Sammy Hagar, qui traînent backstage à Lancaster, lui font savoir que c'est là un sacré costume à enfiler. Mais la personne la plus difficile à gérer de toutes, c'est sans doute Barry Goldberg, le clavier de l'Electric Flag, qui attend de Frank qu'il réplique les morceaux note à note, tels que Bloomfield les a joués à l'origine. C'est difficile, mais ils jouent des titres comme "Killing Floor" et "Groovin’ Is Easy" dont Frank tirera un show sans le moindre accroc.
La même année voit paraître le premier album du Paris Slim Band. Enregistré en Californie avec des musiciens comme Tim Kaihatsu, Jimmy Pugh et Rick Estrin, "Blues For Esther" sort sur le label européen Blue Sting. Et à la surprise de Frank, il est nommé pour un W.C. Handy Award en tant que meilleur album européen.
Frank a souvent joué au festival de blues de San Francisco. D'abord avec Troyce Key, et plus récemment avec les Mannish Boys. A la fin des années 80 le Paris Slim Band y est embauché pour la première fois pour le samedi soir, en ouverture du bluesman de Chicago Jimmy Johnson. Ce sera presque une catastrophe. Alors qu'ils se rendent sur les lieux en voiture, celle-ci tombe en panne sur le pont de la Baie. Plus de freins.. Mais les garçons sont déterminés à y arriver, alors, avec quelqu'un qui court devant pour s'assurer que personne ne se mette en travers de leur chemin, ils roulent à 15 à l'heure jusqu'au site. Ils ont raté l'heure de leur set, mais Jimmy Johnson l'a pris, et ils feront le set suivant à sa place.
Au début des années 90, Paris Slim se voit offrir la chance de participer à un autre grand festival quand le promoteur Delmark Goldfarb engage le groupe au Rose City Blues Festival (aujourd'hui le Waterfront Blues Festival) de Portland en Oregon. Une belle opportunité pour le groupe en quête d'une plus grande exposition. Frank se souvient parfaitement du set. Le groupe semblait être dans le groove, et le public y répondait favorablement. A la fin, il y avait des fans qui faisaient la queue pour des autographes. Aussi est-ce avec une certaine attente que, le lendemain, il se procure un exemplaire de The Oregonian. Mais il a beau le lire et le relire dans tous les sens, à son grand étonnement, pas une ligne les concernant. L'article parle du groupe précédent, du suivant, mais eux, c'est comme s'ils n'avaient jamais été là. Aujourd'hui encore, il n'a toujours pas compris pourquoi ils avaient été évincé de l'article.
Dans les années qui s'ensuivent, Frank Goldwasser enregistre souvent avec des gens différents. Son second album, "Bleeding Heart," sur le label Globe, sort en 1996. Il a été long et difficile à mettre en place. Pour quelque obscure raison, il ne sonne pas bien à ses oreilles et il le laisse de côté. Quelques mois plus tard, il y revient, cette fois-ci avec Joe Louis Walker comme co-producteur pour l'aider à tout remettre d'aplomb. Après qu'ils aient pratiquement tout repris à zéro, leurs efforts se révèlent payants et le disque reçoit d'exceptionnelles critiques à peu près partout.
Pendant un temps, Frank travaille avec Mountain Top Records après avoir été présenté à son propriétaire Charlie Buttrice par Byrd Hale. L'harmoniciste Gary Smith y enregistre une vidéo pédagogique et cherche un guitariste pour le seconder sur le projet. C'est de cette façon que Frank y fait son entrée. A partir de là, il travaille sur sa propre vidéo pédagogique pour guitariste de blues. Un projet intense qui lui demande beaucoup de travail, car il est enregistré à la fois en anglais et en français pour sortir dans les deux langues. Pourtant, près de 10 ans plus tard, le label ne l'a toujours pas sorti, au grand dam de Frank.
Mais Mountain Top l'adjoint à Gary Smith, avec le bassiste Johnny Ace et le batteur Big Walter Shufflesworth des Dynatones pour des sessions dont résulteront un album, "Mountain Top West Coast Summit – Be Careful What You Wish For." De nouveau, le travail de Frank reçoit les louanges des critiques. Il poursuit en participant à une série d'albums pour Fillmore Slim, puis entre en studio pour un CD qui doit sortir sous son propre nom en compagnie du guitariste Rusty Zinn. Frank pense que ces sessions ont produit la meilleure musique qu'il ait jamais créé. Mais comme la vidéo pédagogique, Mountain Top ne sort pas l'album et Frank en est immensément frustré.
En 1998, Frank et son épouse s'installent à Santa Barbara en Californie pour se rapprocher de son beau-père qui vient de subir une attaque cardiaque. C'est à cette occasion qu'il entre en contact avec le batteur Chris Millar, un des principaux musiciens de chez Fedora. Ils se sont rencontré des années plus tôt dans la Baie, et Frank fut impressionné par le travail de Chris avec le label. Millar commence à l'embaucher lors de nombreuses sessions pour Fedora, avec pour résultat de l'inclure sur plusieurs excellents albums d'artistes tels que Jimmy Dawkins, Hosea Leavy, Harmonica Slim, Willie Kent et J.J. Malone.
Durant cette période, le changement le plus important pour Frank Goldwasser est de reprendre son nom propre en tant qu'artiste. Fatigué d'être Paris Slim, il décide de se contenter d'accompagner d'autres musiciens plutôt que de mener son propre groupe.
Un jour il reçoit un appel de Michael Koffer, un promoteur qui cherche un guitariste pour jouer derrière Billy Boy Arnold et Finis Tasby au festival de blues Ojai Bowlful. Sautant sur l'occasion de travailler avec ces artistes, il est mis en contact avec leur manager Randy Chortkoff. A l'origine, c'est le guitariste Alex Schultz qui devait jouer, mais d'autres engagements l'éloignent de cette occasion. Chortkoff a dû être impressionné par la façon dont ces shows se sont déroulés, car à la suite d'un projet d'enregistrement en Europe, il contacte Frank pour lui dire qu'il a quelque chose en tête. En fait il veut faire un CD de Frank Goldwasser, et il paie pour tout !
Ce n'est pas tous les jours que quelqu'un vient vous voir avec de l'argent plein les bras et vous dit : "On fait un disque ?" Mais Frank ne veut pas faire un album de pur blues. Au risque de ne pas être très populaire, il veut expérimenter une nouvelle approche. Aussi demande-t-il à toute une palette de musiciens d'y participer. Phillip Walker est l'un d'eux, parce qu'il est un des héros de Frank, et qu'il lui avait donné sa chance à Paris, quand il était gamin, en le laissant se joindre à lui sur scène. Et J.J. Malone, qui avait joué un rôle important aux débuts de Frank dans la Baie. Il invite aussi les guitaristes Alex Schultz et Kirk Fletcher; deux musiciens qu'il n'a jamais rencontré mais dont il a beaucoup entendu parler. Il demande même à Souhail Kaspar, qui joue des tablas, de se joindre à eux. Le résultat, c'est le sensationnel "Bluju", un album sorti sur le label allemand Cross Cut Records. La guitare de Frank y est impeccable, avec peut-être pour point culminant le titre "Three Sisters" qui raconte l'histoire d'Oakland à la toute fin du blues boom de la ville. Frank s'y remémore des noms et, tristement, informe l'auditeur que cette scène n'existe plus.
Après "Bluju," Randy Chortkoff contacte Frank, lui demandant son concours pour seconder la légende du blues Jody Williams lors d'un détour par la Côte Ouest de la tournée de son retour. Frank a des sentiments mitigés quant à cette période. Jody est un type sympa dont la compagnie est agréable, et il aime beaucoup parler. Si vous voulez entendre des histoires sur Howlin’ Wolf et Bo Diddley, il y consacrera volontiers plusieurs heures. Mais jouer sur scène avec lui est une toute autre histoire. Jody aime jouer, il aime prendre des solos. En fait, il peut prendre de très longs solos, il y prend du bon temps. Le problème, c'est qu'il en oublie de laisser les autres musiciens s'exprimer, ce qui peut devenir monotone pour le public et frustrant pour les autres membres du groupe.
Randy Chortkoff est plein d'idées. Sa dernière en date, c'est de créer un super groupe de blues propre à séduire tout le monde un groupe qu'on se disputerait. Appelé The Mannish Boys, c'est un casting all-star composé de Finis Tasby au chant, du pianiste Leon Blue, du batteur June Core, du bassiste Ronnie James Weber, Randy lui-même à l'harmonica avec Kirk Fletcher et Frank pour s'échanger les riffs de guitare. Pour ajouter au parfum général, tout un tas d'invités sont également inclus lors des sessions. Sur le papier, l'idée est fabuleuse. Mais c'est encore un projet qui semble ne jamais vouloir se concrétiser. Randy ramène une poignée de reprises qu'il veut utiliser pour les sessions qui produiront l'album "That Represent Man." Ce sont d'excellents titres, mais aussi d'authentiques blues au son pourrave, plein de pains dans leurs versions originales. C'est le son que Randy veut reproduire. Les musiciens les plus jeunes, accoutumés à la technologie des studios modernes, comprennent l'idée. Mais Randy veut que ce soit parfait, il fait reprendre au groupe les même titres encore et encore, jusqu'à ce que les plus vieux des musiciens en arrivent à se demander s'il n'est pas fou. Toute leur vie ils ont enregistré des morceaux pour en faire des hits, et ne voilà-t-il pas que ce gars veut leur faire imiter ce son pourri. Mais quelles que soient les pensées des uns et des autres, l'album est un succès qui se voit même nommé aux Blues Music Awards dans les catégories album de blues traditionnel et album de blues de l'année.
Cependant, un autre aspect de la vision de Chortkoff pour les
Mannish Boys prend un tout autre chemin. Depuis le début, Frank prévient Randy
qu'il ne pourra jamais amener ce groupe sur les routes. La plupart ont leur
propre carrière avec d'autres formations. Ronnie James est avec les Thunderbirds,
June avec les Nightcats et Kirk Fletcher, d'abord avec Charlie Musselwhite, joue
maintenant avec les T-Birds. En fait le groupe qui a créé ce premier album n'a
jamais joué ensemble sur scène. En remplacement, Randy fait venir le batteur
Richard Innes, Tom Leavy à la basse et Kid Ramos à la guitare. C'est un groupe
très différent du premier avec son propre son, différent des Mannish Boys
originaux.
La principale différence, c'est que le nouveau groupe est un
showcase pour Kid Ramos. Pas moyen d'y échapper. C'est le cas dans toutes les
formations auxquelles il a participé. Le public adore Kid et lui sait se rendre
maître d'une scène. Mais Frank ne sent pas la même connexion dans le jeu avec
Kid qu'avec Kirk Fletcher. Cependant, cette version scénique des Mannish Boys
rencontre un beau succès auprès du public et un nouveau CD, intitulé avec à
propos "Live & In Demand", est enregistré lors de leur passage au Winthrop Blues
Festival.
A travers toutes ces années, Frank a effectué plusieurs voyages en Europe pour y jouer lors de festivals sur tout le continent. Au Spring Blues Festival en Belgique, Frank a la possibilité de choisir ses accompagnateurs. En 2003, il a travaillé en Californie comme membre d'un trio composé de l'harmoniciste R.J. Mischo et du guitariste Steve Freund en plus de lui-même. Engagés en Belgique sous le nom de Down Home Super Trio, ils remportent un énorme succès auprès du public. Au point que Cross Cut Records leur demande s'ils aimeraient jouer au Lucerne Blues Festival plus tard cet été là pour y faire un album, la seule réserve étant qu'ils n'y seraient pas payés. L'idée séduit Frank et Mischo, tous deux désespérant d'avoir plus de matériel à offrir à leurs fans. Freund, lui, préfère ne pas participer. Désireux de faire ce disque malgré tout, ils recrutent le batteur Richard Innes, profitant de son engagement au festival avec Kim Wilson !
Les guitaristes Alex Schultz et Billy Flynn se joignent au projet comme special guests. Frank reconnaît que, un peu nerveux avant le show, il boit trop avant de monter sur scène. A l'écoute du CD "Down Home Super trio" aujourd'hui, il ne peut s'empêcher de penser "Oh mon Dieu, mais pourquoi j'ai fait ça ?" Mais à l'instar du premier Mannish Boys, l'intention est de produire quelque chose de brut de fonderie, et il lui semble bien que mission soit accomplie.
Après avoir vécu à Santa Barbara pendant six ans, Frank et son épouse décident qu'il est temps de déménager à nouveau. La vie à Santa Barbara est chère, aussi se concentrent-ils sur deux autres villes où vivre désormais. Finalement c'est Paris qu'ils choisissent et s'y rendent au début 2005. Un séjour de courte durée cependant, car la femme de Frank trouve la ville trop grande, trop bruyante. Aussi à l'automne optent-ils pour le plan B, et ils retournent sur la Côte Ouest pour s'installer à Portland en Oregon.
Pourquoi Portland? Pour plusieurs raisons. Frank y a souvent joué avec le Paris Slim Band, avec Jody Williams ainsi qu'avec les Mannish Boys. Un déplacement qu'il a toujours aimé, de même que l'accueil qu'il a reçu dans cette ville. Il se dit que voilà un endroit où il peut venir jouer et y être accepté par les musiciens et les fans locaux. Une de leurs amies, qui a récemment épousé un gars de Portland, n'a cessé de leur dire combien elle aimait la ville et de venir voir par eux-mêmes. Aussi après une visite durant laquelle ils sont hébergés chez elle, trouvant Portland à leur goût, ils y font l'acquisition de leur nouveau foyer.
Frank a toujours été très impressionné par la musique au Waterfront Blues Festival, mais dès qu'il commence à se rendre dans les clubs locaux, il est stupéfait par la qualité consistante qu'il rencontre partout en ville. Au point qu'il veut la partager avec les Européens. Ses plans pour le Spring Blues Festival de Belgique cette année, c'est d'y présenter le Blues of Portland; une chose qu'il pense voir se poursuivre durant plusieurs années alors que les Européens commenceront à découvrir l'exceptionnelle réserve de talent blues de la région. Pour la première édition, il en a déjà discuté et s'arrange pour y amener le claviériste D.K. Stewart et le guitariste Lloyd Jones. Un duo qui devrait bien représenter Portland par delà l'océan. Et Frank a déjà son idée quant à qui il compte amener l'année prochaine !
Pour le moment, Frank Goldwasser commence à trouver ses
repères parmi les clubs de Portland. Après y avoir vécu quelques mois seulement,
il y a déjà découvert une pépinière de talents. Pour l'instant, il y va
doucement, participant aux bœufs ou jouant comme invité avec des amis, tels Bill
Rhoades récemment au bar The Cascade. Mais n'espérez pas le voir s'en contenter
trop longtemps. Il a tout à fait l'intention de monter son propre groupe et de
se faire un nom à Portland. Et avec un pedigree comme le sien, il devrait
s'attirer toute notre attention assez rapidement.