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Que se soit avec sa guitare à plat sur les genoux, assis par terre ou debout, acoustique ou électrique, l’amateur de musique aux sons glissés produits par des objets en verre ou en acier, sur des cordes métalliques, a été bien gâté ces derniers mois. Bien sûr, il lui fallait avoir les oreilles assez ouvertes vers des horizons et des mondes qui pouvaient, a priori, sembler éloignés des milieux du blues… mais je n’en suis pas toujours si sûr que ça !


Commençons par la "vraie" "steel guitar", pour ceux qui considèrent que la musique glissée ne peut être qu’hawaïenne. Si vous voulez enfin faire un bilan de vos connaissances sur sujet, il faut vous procurer le coffret JSP de quatre CD, It Is Hotter In Hawaï. Il y a tout et surtout le début de l’histoire enregistrée en la matière avec les géants et maîtres de la musique des îles : Roy Smeck, Sol K. Bright, Sol Hopii, Sam Ku West, etc. Et même parfois ça sonne très blues ou très swing ! Il y a bien sûr le vétéran Franck Ferera qui va populariser la guitare hawaïenne dans le monde entier et faire des émules. On retrouve aussi les orchestres de Mme Rivière et de Irène West, figures légendaires des revues des années vingt, et même le Français, d’origine italienne Gino Bordin.

Plusieurs de ses titres sont repris dans le disque Paris, Plage d’Hawaï (Paris Jazz Corner). Du morceau joué par le vétéran Jacovacci en 1928 au premier enregistrement effectué en France (1936) avec une guitare électrique : une National lap steel à sept cordes que Gino s’était procurée aux Etats Unis ! Un superbe livret bien documenté, en français, (le texte anglais ne fait qu’une seule page !) a été concocté par Cyril Lefèvre et Dominique Cravic, deux chercheurs diplômés "Es Steel Guitare Parigotte". Nous pourrions faire une analogie audacieuse entre ces italiens et espagnols montés à Paris pour trouver une vie meilleure, dans les années vingt, et les bluesmen montés à Chicago à la même époque. Pourquoi pas ? Parlons peu mais parlons de moi : j’avoue, même si je ne suis pas remercié dans ce disque, avoir eu une certaine fierté lorsque j’ai vu cité le nom d’Odette Novara, musicienne dont ont ne sait rien, à part cette carte postale où elle est en photo avec une guitare à caisse en acier. Je l’avais photocopiée pour la donner à Cyril : il m’avait avoué n’avoir aucune information sur les sœurs Novara (d’ailleurs, tu me dois toujours un coup à boire en échange de l’info : là dessus je suis très rancunier !(*)). C’est grâce à mon intermédiaire, et surtout de celle de mon voisin Jacques Kailua, que Cyril et Dominique sont entrés en contact d’abord avec Ida Brun, steel guitariste toujours avec nous et qui habite dans le Sud de la France (c’est elle qui fait la guitare hawaïenne sur les disques "Piccolo et Saxo"...pour ceux qui ont été des enfants...). Elle avait l’adresse de Alex Manara qui joua dans les années trente avec Gino et Tino Rossi. Dans une maison de retraite à Angers, Cyril et Dominique, n’est croyant pas leurs oreilles sont allés l’interviewer. Une page d’histoire à découvrir et de futures indications pour ce disque. Hélas, un correspondant anglais, amateur de steel française, m’a signalé que Alex était probablement décédé en 2005. A part deux morceaux où il s’excuse de la qualité du son, la reproduction est incroyable : on souhaitait que d’autres compilations soient aussi "mauvaises" que les deux morceaux indiqués ! En plus la pochette est dessinée par Crumb (alors vous voyez que tout ça est très blues !). Ce disque sur la musique hawaïenne française est à mon avis le seul existant de ce niveau, ce qui en fait un objet unique et indispensable. Un boulot incommensurable et réel de recherche et de compilation : ça doit faire vingt ans que Cyril rêvait de faire un tel disque. Nous aussi !

Restons à Paris et revenons en 2006 avec la sortie du deuxième album du "Duo". Si le chanteur, guitariste et harmoniciste Pascal Mickaelian "lead" le groupe, le deuxième larron n’est autre qu’un des rares joueurs de steel français professionnel : Claude Langlois. Donc ce disque est tout a fait à sa place dans cette rubrique. Claude sait être toujours discret et efficace derrière les gens qu’il accompagne, il enrobe leurs musiques des atmosphères uniques apportées par ses vieilles guitares National, sa Weissenborn en bois de Koa, ses lap steel électriques ou sa pedal steel. Bonnes ambiances et Gros Son, Rock, Funky, Rhythm et Blues… même si on aimerait parfois un vrai beau morceau instrumental bien rentre dedans comme au bon vieux temps du Western Swing… Les chansons oscillent entre blues, gospel et standards (Tupelo, Death Dont Have Mercy, etc.) et compos françaises originales aux tons très Bill Deraime & Co (ce n’est pas péjoratif !). Il y a toute la bande de copains : B.B. Boy, Verbeke, Thibaut Chopin, Stan Noubard et les filles (dont "la" Véronique Sauriat) qui font des jolis chœurs affolés sur des chansons blues sexy où "L’été sera blues… et les steel guitares slident à Waikiki et viennent flirter avec Mr. Honky". Il y a même un clip de prévu pour le titre phare du disque Tarantino : ils doivent aimer le cinéma ! (le disque est annoncé pour mai 2006 sur Atoll : cette fois on ne pourra pas me reprocher de chroniquer les vieux roudoudous du radada !)

En définitive le disque qui m’a le moins plu dans ce voyage dans le monde de la musique glissée est le disque 100% blues : Texas & Louisiana Slide Masters : Blues et Western Swing Guitar Stylists (Saga Blues 27). Si l’idée est louable de compiler quelques références de l’histoire de la " slide " et de la "steel" guitare seulement texane et louisianaise, le résultat est assez décevant. La musique bien sûr est belle, avec Oscar Woods (Mais où est son célèbre Dont Sell It ?) ; ou alors avec Black Ace (tout de même : là, il y a la chanson Black Ace !). On est parfois loin des guitaristes stylistes hawaiiens, frôlant plutôt le "punk" avec J.L. Perkins et Frankie Lee Sims ; même avec L.C. Robinson... qui - dixit Freddie Roulette - n’était pas un "vrai joueur de steel" comme Ramblin Thomas ou Henry Thomas (lui j’l’aurais plutôt gardé pour la prochaine compil spéciale sur la "flûte de pan", pourquoi pas ? Hein ?). Leadbelly, non plus, n’était pas un "vrai joueur de slide" (ni un vrai bluesman pour certains…). J’aurais préféré entendre ses glissandos sur son superbe See See Rider. Dans ce cas pourquoi ne pas avoir mis Jack O Diamond : le seul enregistrement en "slide" de Blind Lemon Jefferson ? En prêtant bien l’oreille, on peut y entendre des superbes effets de glissando : il était né au Texas, je crois ? Et pour Blind Willie Johnson : comment peut-on oublier un titre comme Dark Was The Night ? Pièce maîtresse de l’histoire de la "slide-guitare" texane, partie dans l’espace. Idem pour le "steel" guitariste de Western Swing, Leon Mac Auliffe : où est passé son immortel Steel Guitar Rag, inscrit à jamais dans l’histoire de la musique… et repris dans les répertoires hawaïens ou… français. Sur un morceau inutile, on entend Leon chanter, bien sûr, et jouer sans jamais être mis réellement en valeur: dommage ! Et en plus il n’y a que ce titre ! Faut pas bouder son plaisir mais frustration ultime, pas un seul cajun, pas un seul louisianais francophone. Pourtant il y en a des orchestres et des enregistrements éditables qui sont passés dans le domaine public ! En plus les cajuns perpétuent toujours la "steel guitare". En plus la belle photo de la pochette, issue de la Bibliothèque du Congrès américain, représente, je vous le donne en mille : un joueur de steel cajun. Rappelez-moi donc le nom de celui qui a fait cette compil ?

Il me fallait maintenant remonter l’histoire de la slide guitare plusieurs centaines d’années en arrière pour digérer ça. Même si la "vraie" guitare hawaïenne fut introduite à Calcutta en 1929, par Tau Moe, des instruments du même genre existaient déjà en Inde depuis très longtemps (la gotuvadyam, la vichitra vina). Je me suis donc passé Calcutta Slide-Guitar de Debashih Bhattacharya (je sais, c’est dur à prononcer…). Né en 1963, ce jeune indien débutera la slide dès l’âge de trois ans. Puis, il va se confectionner, comme d’autres musiciens indiens, des steel guitares personnelles, avec des cordes de résonance, adaptant ainsi les instruments traditionnels. On est bien sûr bien loin du rock and roll et du blues, mais le but de cette musique est de faire rêver et voyager : alors, au-delà des clichés, laisser vous caresser par cette étonnante musique hypnotique.

Pour la fin, je me suis gardé l’indispensable disque du Robert Johnson, ou du Jimi Hendrix, hawaïen : Sam Ku West. Première réalisation, et coup de maître, du label "Grass Skirt Record", qui compile vingt-six enregistrements, sur les vingt-sept existants, de ce grand virtuose de la steel acoustique posée à plat sur les genoux. Beaucoup des titres étaient introuvables et il ne reste que quelques exemplaires de certains 78 tours. Seulement, une poignée de morceaux étaient connus, mais avaient été suffisants pour donner à Sam Ku une renommée mondiale pour les amateurs, à l’égale de Sol Hopi, l’autre grand précurseur. Ici il y a même quelques blues : Memphis Blues, Saint Louis Blues et le Hawaïan Hula Blues. Le livret, les photos, la collecte des exemplaires originaux est un vrai et long travail de souvenir et d’hommage effectué par Les Cook qui a pu disposer de documents et de disques de la collection de la famille de Sam, toujours à Honolulu. La qualité de la réalisation et de la musique est le pendant hawaïen du disque "Paris, plages d’Hawaii"… mais ceci est une autre histoire. Ou alors est-ce la même ? Puisque que Sam Ku West est mort à vingt-trois ans, en 1930, à Paris (Neuilly-sur-Seine)…

> CHRISTIAN LIGHTNIN' E
 

(*) A prendre au second degré, car je n’ai rien contre Cyril Lefebvre ! Merci !