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Virus de Zydeco
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Dans notre dernier numéro, nous avons tenté de livrer, de
façon informelle, quelques clefs sur ce qu'est le Zydeco, et nous écrivions :
"On tend à accorder la paternité du terme zydeco à Clifton Chenier, mais c'est
une affirmation qui, bien que probable, reste à vérifier. Il se peut en effet
qu'elle lui soit antérieure".
Vérification faite, le terme n'est pas du tout une création du King of Zydeco,
bien qu'il aurait affirmé le contraire, mais bel et bien une simple évolution du
langage chez les blancs de Louisiane, les Cajuns donc. Merci pour ces précisions
à Philippe Sauret, grand spécialiste devant l'éternel et collaborateur du
magazine Soul Bag, ainsi qu'au réalisateur Jean-Pierre Bruneau auquel nous
devons de superbes reportages sur la Louisiane, sa culture, et plus précisément
ses musiques, dont le magnifique DVD Louisiana Blues sorti chez Frémeaux &
Associés l'année dernière.
Ce point étant éclairci, et si on en parlait, justement, de musique ? Voici donc
quelques chroniques d'albums parus récemment.
BIG RED & THE ZYDECO PLAYMAKERS > Secret Ingredients
Maison de Soul - MDS-1084 - (2005 ~ 58:29)
Après son excellent premier CD Dis Ain'tcha Momma's Zodico, le jeune Cajun Travis Matte confirme son talent de musicien festif avec ce nouvel opus. Mêlant zydeco, musique cajun, double-kicking, compositions originales et reprises détournées il nous livre une collection de dix-sept titres don pas un n'est à jeter. Il faut entendre ses versions de Jenny Jenny, La Bamba, Summer Of 69, Bad Moon Rising, Blue Monday, ou The Twist, ici correctement attribué à Hank Ballard et non à Chubby Checker, même si ce dernier a connu un succès international avec ce titre, contrairement à son auteur légitime. Travis Matte est comme Midas : tout ce qu'il touche devient du zydeco. Bon chanteur, excellent accordéoniste, violoniste reconnu, il est bien secondé par des Zydeco Kingpins compétents, plus quelques invités qui, selon les faces, viennent ajouter quelques chœurs, un peu de piano, voire du saxophone. Est-ce le temps et l'expérience qui apportent plus de sagesse ? Il semble en effet que l'énergie de ce nouvel album soit un peu plus canalisée que dans le précédent où, sans jamais tourner au chaos, elle atteignait plus souvent une certaine folie, un zeste de démesure, juste ce qu'il faut pour faire la différence entre un bon album et un excellent CD. Mais ne vous y trompez pas, la présente galette n'est pas faite pour engendrer la morosité, et ceux qui après avoir lu ces lignes se procureront ce disque ne le regretteront pas. C'est simple, s'il fallait ne conseiller qu'une seule de ces deux tartines, tout ce qu'on pourrait dire serait : "Prenez les deux !".
LEON CHAVIS & THE ZYDECO FLAMES > The Heat Is On
Descendant direct du regretté Boozoo Chavis, Leon n'a déjà plus à se faire un nom, puisque celui-ci est déjà archi-connu dans le monde zydeco. Il ne lui reste plus qu'à s'y faire un prénom, et voilà qui semble bien parti avec ce remarquable premier album qui boucle la boucle. En effet, si Keith Frank et Beau Jocque se sont beaucoup inspirés du style rural de Boozoo pour créer le Nouveau Zydeco dans les années quatre-vingt dix, c'est le style dans lequel Leon a choisi de s'exprimer. Le genre n'étant pas exempt de mélodies "guimauves" inspirées d'une Nu Soul parfois un peu pauvre de ce point de vue, on n'y échappe pas toujours ici. Heureusement, Leon et ses Zydeco Flames (à ne pas confondre avec le bien nommé groupe californien) n'en abusent pas, et quand ils nous infligent ce genre de traitement, le morceau est heureusement rehaussé par un background musical dansant à souhait. Pour le reste, sans être une révolution, cette première réalisation est plutôt prometteuse et laisse présager un avenir au succès grandissant pour le jeune homme et sa formation. C'est tout le mal qu'on leur souhaite.
ROSIE LEDET > Pick It Up
L'air de rien, c'est déjà le huitième album de Rosie Ledet, elle que le machisme ambiant condamnait dès ses débuts, ne voyant pas comment une femme pourrait faire carrière comme "leadeuse" dans un style jusqu'alors phagocyté par les mâles, à l'exception de Queen Ida en Californie, État plus connu pour son ouverture d'esprit avant qu'il n'élise ce gros naze de Scharzennegger comme Gouverneur. Mais Rosie a su s'imposer, certes en jouant de son physique avantageux, mais aussi par ses constants progrès au chant, point faible de ses premiers enregistrements, désormais plus qu'un mauvais souvenir, et surtout grâce à son zydeco entraînant, propre à convaincre les danseurs, principal public de ce genre musical en Louisiane comme ailleurs. Elle a aussi recours au double-entendre, aux allusions salaces sous couvert d'une fausse innocence (Pick It Up) pour se rallier les rieurs, parmi lesquels, sans doute, bon nombre de ses détracteurs d'antan. Le résultat, c'est un sympathique CD dans lequel un groupe soudé malgré un personnel à géométrie variable délivre un zydeco fort correct en prenant soin de mettre en avant une jeune femme à l'incontestable talent qu'on aimerait bien voir un jour dans nos contrées, si possible avant qu'elle ne puisse plus se permettre de se produire dans ces shorts en jeans effrangés qui lui vont si bien.
> RENÉ MALINES