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Bo Weavil

 

 

A l'écoute de leur nouvel et troisième album, bien qu'à aucun moment la formation n'abandonne son identité dans l'affaire, il semble en effet que Boogie Matt Arrow et Sleepy Vince Talpaert soient arrivés à un carrefour de leur carrière, ce moment où l'on fait des choix, où l'on prend une nouvelle direction. Il nous a paru opportun de rencontrer le leader à ce moment clef de l'évolution du groupe.


Alors un troisième CD, une nouvelle maison de disques, une nouvelle production, un son différent des deux premiers albums, il y a beaucoup de choses à raconter. Si le second album, bien que différent du premier, en était un peu la suite, là, avec ce troisième, on est agréablement surpris par ce son nouveau.


Boogie Matt Arrow :
Ce qui c'est passé, c'est que le premier, on l'a fait en une journée. Les morceaux, on les avait répétés une semaine avant. C'était comme c'était, le truc est sorti comme ça. Pour le deuxième, on voulait le son Sun. On avait tout le matos pour le faire. Le studio où on est allé, en Suède, c'est précisément le matos qu'il y avait chez Sun. C'était donc l'endroit idéal. Maintenant il a évolué, il a la possibilité d'avoir des sons plus propres. Le second CD est donc sorti comme ça, avec des compos qu'on avait un peu plus travaillé, mais guère plus. Et puis de nombreuses années se sont écoulées, on a joué à trois, puis à deux. Pour le suivant, on n'avait pas vraiment envie de retourner dans un studio au son vintage, on voulait passer à autre chose. Notre période vintage, elle nous est un peu passée. Les vieux amplis, c'est super, ça sonne vachement bien, mais c'est fragile. Le vieux matos, c'est toujours embêtant. Moi j'ai déjà flingué une vieille Dan Electro des années 60. Et puis tout ce matos vintage, c'est parfois lourd aussi, alors c'est compliqué. Bref on a commencé à jouer avec des instruments plus cheap, parce qu'on peut très bien avoir l'esprit du blues avec un son clair, moderne. On n'a pas spécifiquement besoin d'avoir un son vintage. Il se trouve aussi que pour cet enregistrement, on a joué avec un niveau très très bas dans le studio. Il y a un matos de folie là-bas ! Ce studio, c'est un des meilleurs que j'ai jamais vu. C'est l'ancienne console de Barclay qui a aussi appartenu à Philips, c'est une console de très grande qualité, avec un super ingé-son derrière, Denis Cazajeux. On s'est dit face à un matos comme ça, ça ne sert à rien de faire des trucs trash, d'envoyer la purée. Autant utiliser l'outil, utiliser sa chaleur, et balancer un son relativement faible au début, l'amplifier, le travailler, le modeler avec les préamps, les chambres d'écho, tout ça. Par contre, pour tout ce qui est effet, c'est exclusivement analogique. On n'a pas utilisé un seul truc numérique. On a eu une étape numérique pour la finalisation, le mastering, etc.. Et même au mixage, pour certaines choses, mais pas tout. Il y a des choses qui ont été enregistrées sur bandes, d'autres pas.

Mais vous avez opté pour ce son parce que vous étiez dans ce studio, ou bien avez-vous choisi ce studio pour avoir ce son là ?
En fait c'est allé dans les deux sens. Jan Ghazi, le producteur, voulait nous proposer le meilleur pour ne pas avoir à perdre de temps, ne pas refaire plein d'enregistrements, avoir le son tout de suite. Un son propre. Lui, il avait plusieurs pistes, il avait plusieurs studios. Nous, déjà, on voulait rester près de Paris. On voulait pas s'emmerder à aller en Suède ou je ne sais où. Il y a plein de studios super. Il a même été question d'aller enregistrer à Los Angeles ou du côté de San Francisco. Bon, moi ça m'aurait bien plu, évidemment, mais ça ne s'est pas fait. C'était trop compliqué, il valait mieux rester sur un truc relativement simple, autour de Paris. Et donc ça a été le studio de la Frette-sur-Seine, parce qu'il le connaissait. Nous, avant d'arriver sur les lieux, on ne savait pas trop à quoi s'attendre. On savait que c'était un studio multi-pistes, de grande qualité bien sûr. Les expériences qu'on avait eues par le passé dans des studios similaires, mais pas aussi bien, il faut le dire, était assez infructueuses. Moi j'avais été très déçu d'enregistrements qu'on avait fait avant, en digital, sur des consoles modernes. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on était parti en Suède pour les premiers albums. En plus on ne se voyait pas tous, je ne voyais pas Vincent, on était dans des petits box comme on fait dans les studios actuels, pour isoler les sons. Donc il y avait ce petit problème du visuel. Globalement, c'est vrai qu'on a été tout de suite conquis par la chaleur du son, et on a essayé d'exploiter ça. Ce qu'il en ressort, c'est un son particulier. Bon, il se trouve qu'on a aussi travaillé sur pas mal de titres, pas mal de compos ont giclé, on a gardé pas mal de reprises. Au départ je pensais mettre plus de compos que ça, mais finalement déçus par certaines prises, on a préféré les écarter, et puis voilà, on a dit on va faire un album "Tribute", parce qu'on avait des reprises qui sonnaient bien. Et les titres qui ressemblent le plus à ce qu'on fait sur scène, comme Mellow Apples ou les titres avec de la batterie généralement, ça on les a fait sur bande, en direct, harmonica direct, sans re-re, sans rien. Si, j'exagère, il y a des re-re de contrebasse qui ont été faits après. Par contre il y a des morceaux qui ont été travaillés, c'est à dire qu'on est parti comme aurait fait un groupe actuel, en faisant des re-re, en refaisant des trucs. Une deuxième guitare, une basse supplémentaire, un harmonica…Pour nous c'était vraiment une expérience complètement nouvelle, on n'avait jamais fait ça, parce qu'on est surtout un groupe live. On n'avait jamais travaillé de cette manière, et c'est vrai que ça, c'était super intéressant. J'ai adoré cette démarche. Parce qu'il est toujours plus facile d'avoir plusieurs musiciens dans le studio, un batteur, un bassiste, etc., et ça joue. On fait 3, 4, et on y va, on fait autant de prises qu'il est nécessaire. Là c'est vrai que c'est une démarche très différente. On a travaillé sur quatre ou cinq titres en re-re, mais simplement. Il ne s'agissait pas de faire des re-re à rallonge pour avoir la prise parfaite. On gardait la première prise du re-re, avec ses défauts, avec tout, pour essayer de conserver l'authenticité d'un morceau interprété comme ça. Donc c'est du one take en re-re, mais du one take quand même.

A l'annonce d'un nouvel album de Bo Weavil, moi je dis super, parce que j'adore, mais s'il est différent des deux premiers, c'est encore mieux. C'est vrai, à quoi servirait de refaire le même album ? Et ça, c'est l'apport de Jan Ghazi ?
Jan, il a vraiment flashé quand on s'est rencontré. C'était à un concert qu'on avait donné à la Maroquinerie il y a deux ou trois ans. C'était la première fois qu'il nous voyait, et il a flashé sur le truc vraiment vintage, années 30-40. C'est vrai que notre style de jeu a pas mal évolué depuis. C'est difficile de parler de blues moderne, parce que pour moi, ça va jusqu'aux années 70, mais c'est vrai que de plus en plus, j'aime les sons un peu straight, même Fender, tu vois ? Maintenant j'ai acheté une Fender, j'aime bien les sons un peu clean, alors qu'avant ça saturait de partout, avec des sons très chauds, très Gibson. Par exemple sur l'album, il y a une majorité de morceaux sur lesquels il y a de la basse électrique et non pas de la contrebasse. Et Vincent, c'est pareil, il aime bien. Alors que dans les trucs qu'on a fait avant, les vieux trucs des années 40, ce n'est pas du tout la même chaleur, où en effet c'est contrebasse, vieille guitare un peu folk, enfin pas folk mais acoustique, et même saturée. Ça ne nous empêche pas de continuer à faire certains trucs dans cet esprit vraiment vintage sur scène. Mais ce qui nous intéressait, c'était cette évolution "chronologique". Un apport important dans ce sens-là a été celui du Wurlitzer. J'avais vraiment envie de ça depuis très longtemps, et là c'est pas du tout vintage, le Wurlitzer ça sonne tout de suite plus moderne. Évidemment, les premiers enregistrements, c'est Ray Charles avec What'd I Say, mais c'est surtout après que le Wurlitzer est devenu l'instrument majeur qu'on connaît. Pas spécialement dans le blues d'ailleurs, c'est souvent utilisé dans d'autres styles de musique, comme la funk. Mais c'est vrai que j'ai toujours énormément apprécié ce son. On a fait pas mal d'enregistrements avec. On n'a pas tout gardé, mais c'est vrai que sa couleur, fondamentalement moderne, nous a beaucoup plu.

Ce que j'ai aimé aussi, c'est que ça reste Bo Weavil, tout en étant plus moderne. Par exemple ce blues lent ; des blues lents, il y en a sur tous les albums de blues, mais pas chez Bo Weavil, d'habitude.
Tu penses à Lazy Bones, je suppose ? Ça c'est une compo, comme tous les morceaux un peu plus modernes. J'avais déjà mon idée en entrant en studio. J'avais des climats, des choses comme ça. C'est mon morceau préféré sur l'album, c'est là où j'ai senti quelque chose qui m'a vraiment plu. Quelque chose de nouveau. Je ne veux pas dire que le reste ne me plaît pas, évidemment, mais un truc où je me suis senti moi, dans ma période, dans notre époque actuelle. Tu comprends, on était pas là à jouer à la façon des Américains dans un juke joint des années 40, tu vois ce que je veux dire ?

Vous ne jouez pas un rôle, vous jouez votre musique ?
Voilà, exactement. Je pense que cet album, dans sa mixité, parce que certains morceaux sont vraiment acoustiques, d'autres plus électriques, certains même un peu saturés, c'est un album charnière. C'est-à-dire qu'il y a la liaison entre ce qu'on faisait avant avec ce qu'on a fait surtout depuis trois-quatre ans, c'est à dire surtout du blues acoustique à deux. C'est quand même du country blues. C'est vrai que le country blues des années 30-40 fait toujours partie de notre répertoire, mais on va pas rajouter des crachouillis ou des bouts de bandes pour avoir un son vieillot. On s'est dit tant qu'à faire de l'acoustique, on va vraiment faire de l'acoustique. On a pris un superbe micro Neumann, on a joué en acoustique pure devant, en une prise, et voilà. Les quelques morceaux acoustiques qu'il y a dessus, c'est comme ça, c'est du brut de pomme, avec juste les guitares, un micro, et point barre. Et donc une liaison entre ce qu'on a fait avant, ça, et ce vers quoi on tend.

Et ça, vous le savez déjà ? Vous avez déjà d'autres projets ?
Ah oui, je sais vers quoi je veux aller, ce vers quoi je veux faire évoluer Bo Weavil. C'est-à-dire du country blues, mais actuel. Avec un son vraiment actuel.

Et Vincent te suit là-dessus ?
Ah ouais, à fond, bien sûr. On est complètement d'accord là-dessus. C'est même suite à des discussions, des questions, des réponses, qu'on s'est dit voilà, c'est l'évolution qui nous convient.

Mais Vincent et toi, c'est particulier aussi ? C'est pas juste deux mecs comme ça qui se retrouvent à jouer ensemble. Il y a une interaction entre vous, c'est pratiquement un mariage musical ?
On peut dire ça comme ça [rires]. Ça fait onze ans qu'on joue ensemble, ce n'est pas rien ! C'est énorme ! Il y a une véritable fraternité. Comme chez Doo The Doo, il y a une complémentarité. On n'est pas d'accord sur tout, il y a des points de désaccord, mais globalement, quand il s'agit de jouer de la musique, une fois qu'on est dedans, il n'y a pas de problème. On est d'une complémentarité totale. C'était un choix délibéré de tourner en duo. Pourquoi ? Pour des raisons financières bien sûr, mais aussi par choix musical. A un certain moment, après avoir tourné en trio avec Ludovic Binet au piano, on avait envie de jouer du country blues. Et le country blues, ça se joue sans piano, ça se joue avec un washboard, avec des trucs comme ça. On l'a fait. On s'est éclaté là-dedans. On n'a pas enregistré d'album de ça, et c'est aussi un autre projet, on pense quand même un jour graver cet esprit country blues. Ce qui nous manquait, c'est qu'on hésitait souvent à nous prendre en partie principale en concert. Alors on a eu plein de premières parties de gens prestigieux sur des grosses scènes, je vais pas citer tout le monde, c'était super, mais c'est vrai qu'on se disait… Mais bon, aujourd'hui, les mentalités changent. Il y a un groupe, les White Stripes, ils sont deux et ça cartonne. Là, maintenant, l'idée du duo peut être acceptée par les organisateurs de festivals. Parce qu'on sait très bien que la musique n'a rien à voir avec la quantité. Par contre, Vincent joue de la basse, de la contrebasse, du washboard, de la batterie, c'est vrai qu'il ne peut pas tout faire en même temps. Pour évoluer vers le son que je voulais, ça nécessitait l'intervention d'autres personnes. Donc il a enregistré en re-re, mais à partir de maintenant, on va tourner avec un batteur. On a donc réembauché Denis Baudrillart qui était en fait le premier batteur à être resté avec nous pendant un an et demi-deux ans à nos débuts en 94, 95. Bon, par la force des choses, on s'est séparé, on a joué avec différents batteurs dont Lulu [Lelet] avec lequel on a enregistré. Denis, lui, vient du rock, mais son style correspond parfaitement à la direction que nous sommes en train de prendre. Parce que grâce à cet album, grâce au travail qui est en train de se faire, qui est en chantier actuellement, parce que ça n'arrête pas, entre notre tourneur, Jan le producteur, on a pu envisager de voir Bo Weavil autrement, donc en trio, et même, j'espère bien, en quartet d'ici cet été. J'aimerais bien réembaucher notre pianiste Ludo au Wurlitzer et réunir en fait les quatre membres majeurs qui ont été dans Bo Weavil. Denis et Ludo ont été des éléments importants dans l'histoire de Bo Weavil.

Tu veux reformer le Bo Weavil historique, en quelque sorte ?
Voilà, exactement. C'est le but Qu'on ne peut encore atteindre pour des raisons financières, mais je pense qu'on va y arriver.

Justement, revenons un peu sur cette histoire. En fait, Denis, Vincent, Lulu, ce sont des mecs qui viennent du rock'n'roll, le truc à bananes, baskets rouges et tout ?
Ah complètement. Enfin, Denis, c'était pas vraiment le rockabilly, lui il vient plutôt du rock, du ska, cette mouvance là. C'était quand même le batteur de Jim Murple, un des membres fondateurs. C'est plus rock steady, ska, même s'il a aussi porté la banane. Ludovic, lui il vient du blues, voire du blues un peu jazzy, c'est-à-dire Ray Charles, T-Bone Walker, Louis Jordan, et aussi le Chicago blues.

Mais dans ce que tu fais, rien ne semble venir du rock, alors comment as-tu rencontré Vince ?
D'abord, j'ai eu la chance de naître dans une famille de musiciens. Mon tout premier album, à l'âge de sept-huit ans, c'était le premier album de Stray Cats. Alors que j'étais frisé comme Michael Jackson, le rêve de ma vie, c'était d'avoir une banane. C'était le rock'n'roll. C'était vraiment mon truc. Brian Setzer, Elvis Presley, c'était mon truc à cet âge là. Après j'ai eu plein de périodes différentes, du funk, du rap, à onze ans je faisais du break dance, du smurf, après j'ai été cold wave, Cure, des trucs un peu froids, après j'ai été punk. J'ai traversé un paquet de trucs, mais ce qui m'a plu depuis le départ, depuis des années, c'est ce qu'écoutait mon père. Quand j'avais quatorze ans, il m'avait filé une cassette sur laquelle il avait copié ses 78 tours, dessus il y avait Charley Patton, Sonny Terry, des vieilleries comme ça. A cette époque là, je n'étais pas encore prêt à écouter ses sons de 78 tours, un peu agressifs, donc je l'ai mise de côté. C'est la période où avec les copains, on écoutait ZZ Top, AC/DC, c'est le moment où j'ai commencé la guitare, notamment en écoutant Chuck Berry dont j'étais toujours fan. Voilà, je voulais jouer comme Chuck Berry, Brian Setzer un peu, tous ces trucs là. Et puis très rapidement, je me suis aperçu que ce qui me plaisait depuis le début c'était la blue note, ce truc qui fait "twwwiiiiiiing" et qui se tord, et j'ai commencé à découvrir le blues. A l'âge de dix-sept, dix-huit ans, j'ai commencé à vraiment écouter du blues, et depuis lors, je n'ai plus eu envie de jouer que ça. Je me suis fait voler ma gratte, ce qui a été très très dur, surtout que c'était une belle guitare. Et c'est à ce moment-là que j'ai rencontré Jean-Jacques Milteau. Je me suis mis à l'harmonica, j'ai vraiment travaillé, en écoutant Little Walter, Sonny Boy, Sonny Terry et les autres, et pendant trois ans je n'ai fait que de l'harmo. Mais comme un fou ! J'en jouais partout, je l'emmenais partout. A chaque fois que je me déplaçais, que je prenais le métro, je jouais de l'harmo. Mais sans faire la manche. Non, je jouais, quoi, je jouais partout. D'ailleurs c'est comme ça que j'ai rencontré Philippe Sauret. Un jour il m'a vu, je jouais dans mon coin, les yeux fermés, et il m'a branché pour venir jouer dans un bœuf Travel in Blues. Un peu plus tard, j'ai eu la chance de rencontrer Lee Halliday [marié à la cousine de Johnny Hallyday, c'est lui qui a mis le pied à l'étrier au jeune Jean-Philippe Smet] qui m'a pris en affection et m'a offert une guitare, une Les Paul neuve. C'est comme ça que je me suis remis à la gratte. A ce moment-là, j'avais complètement flashé sur Boogie Chillen de John Lee Hooker. En gros, je suis reparti complètement à zéro. Je me suis mis à travailler Boogie Chillen en open tuning, John Lee Hooker à fond. Ensuite Robert Johnson, à fond. J'ai bossé comme un taré tous ces trucs là. Et c'est la dernière fois que j'ai travaillé [rires]. Bon, mon jeu a évolué avec le temps, mais j'ai vraiment bossé tous ces trucs là, c'est vraiment la base de mon apprentissage musical.

Lee Halliday, ça c'est une surprise !
Lee Halliday, c'est quelqu'un qui a été hyper important pour moi, pour mon démarrage de carrière si on peut dire, de voie professionnelle. Il m'a rendu la confiance en moi, il m'a dit d'y aller. Je suis revenu à Paris avec ma gratte, je suis rentré au CIM, une école de jazz de Paris. Ça, ça a été assez pitoyable. En gros, l'idée, c'était que je voulais apprendre l'harmonie, lire, devenir musicien en vingt leçons, quoi. Au bout de deux mois, j'ai complètement décroché, parce que j'étais complètement à la rame. Tous les mecs, ils assuraient comme des bêtes, à connaître tous les trucs, les anatoles, des accords de folie, ils faisaient des soli, et moi j'étais là, complètement largué. Je ne connaissais que Johnny B. Goode, tu vois ? [rires] Surtout que les professeurs ne voulaient pas que je torde une seule note ! Déjà, je ne pouvais pas jouer, là ! Et c'est là où j'ai rencontré Olivier Bodin, guitariste émérite, qui était branché B.B. King à fond. Et en fait, au CIM il y avait un atelier blues et moi, je suis arrivé là-dedans avec mon harmonica. Ça par contre, c'était un instrument que je maîtrisais parfaitement. Il y avait Stan Noubard Pacha à la guitare, il y avait Ludovic Binet qui est devenu mon pianiste, et il y avait Olivier Bodin qui dirigeait l'atelier, il y avait aussi différents guitaristes, bassistes, dont Nicolas Placier qui est devenu un de mes meilleurs amis et qui était le guitariste de ma première formation. Stan a émergé tout de suite parce qu'il était déjà d'un très bon niveau. Il a joué très rapidement avec Benoît Blue Boy après avoir joué avec Pépé Pedron [Alcotest Blues Band], Luther Allison, il est rentré à donf dans ce milieu. Il était un peu plus âgé que nous, il avait un peu plus de métier. On n'a jamais réellement joué ensemble avec Stan, mais on se connaît depuis très longtemps. Ensuite on a formé notre premier groupe. Je ne connaissais pas encore Vincent, mais c'est par le biais d'un autre ami du CIM, un guitariste rock'n'roll émérite qui s'appelle Romain Guolivet et qui jouait avec Malek [Ben Yedder, ex-Little Big Band] dans un groupe qui s'appelait Fifty Fifty. Et eux jouaient avec Vincent à la contrebasse. Et un jour je parle de ça. Je voulais jouer avec un contrebassiste, et c'est lui qui me parle de Vincent. Je contacte Vincent, je vais chez lui, et les premiers trucs qu'on a joué ensemble, ça a été le premier album Chess de Muddy Waters, The Real Folk Blues. C'est un album que j'ai écouté en boucle pendant un an. Il fait toujours partie de mes albums favoris, je l'écoute toujours. Je trouve que c'est sublime. Sublimissime. Et tout de suite, ça a fonctionné, on était complètement sur la même longueur d'onde. C'était difficile de trouver un contrebassiste qui fasse "chtonk - chtonk - chtonk-a-ka-chtonk".

Vincent était déjà branché Muddy Waters ?
Ah ouais, il écoutait ça déjà depuis un moment. Indéniablement, c'était un truc qui l'intéressait vraiment, mais il ne faisait pas ça avec ses autres potes. Avec eux il faisait du rock'n'roll. Il ne jouait pas du tout de blues. Il adorait ça mais n'en jouait pas. Enfin, je ne peux pas parler à sa place parce que je n'en suis pas sûr, mais globalement, on a commencé à jouer du blues ensemble. Parce que même moi, ce que je faisais avec mon groupe précédent, c'était quand même assez funk, assez moderne. Certains trucs de Chicago, B.B. King aussi, mais un blues assez moderne. Et puis c'était funk quand même. Et voilà le début de l'histoire. Donc en 94, 95, on jouait avec Denis, et aussi beaucoup en duo. Plein de petites tournées en duo. Et avant ça, j'ai tourné tout seul pendant trois ans, de 94 à 97. De temps en temps je demandais à Vincent de venir, et c'est comme ça que s'est monté le projet du premier album. Et c'est quelque chose que je continue à faire. De temps en temps, je joue encore en solo. Bon, après, tu connais déjà toute l'histoire.

Oui, on s'est rencontré en 96, je crois. Mais bien que t'ayant vu avec Lulu, avec Ludo, pour moi, Bo Weavil, ça a toujours été Vincent et toi, et là tu me dis qu'il y a des membres historiques qui font partie de tes projets.
Ouais, pour moi, le projet, dans l'état actuel des choses, c'est aller vers le quartet. Ce sera surtout pour faire les gros clubs, les festivals, les concerts importants. C'est évident que les petits rades, dont on a besoin pour survivre, parce que c'est clair qu'on ne peut pas vivre uniquement sur les festivals, un peu comme Doo The Doo a les Honeymen comme formule plus petite, et comme plein d'autres mecs font aussi, le fait de proposer plusieurs formules, c'est aussi pour pouvoir passer dans plein d'endroits différents.

Pour en revenir à l'album, hier j'ai rencontré Jan, et nous avons parlé de la pochette. Il m'a dit qu'il y a des gens qui ne l'aiment pas ?
ll y en a qui y voient une ambiance gothique. Moi je suis assez content. Cette photo, elle s'est faite à quatre heures du matin, alors qu'on était en plein mixage, qu'on avait pas dormi depuis trois nuits, on a des gueules de déterrés. On l'a faite dehors, en pleine nuit, il faisait froid mais on n'allait pas mettre les gros blousons, et puis on ne voulait pas poser avec les guitares, il aurait fallu aller les chercher, et là, dans le jardin, il y avait une pelle et une pioche. Cette photo, elle s'est faite de façon complètement spontanée. En même temps, on voyait ce manoir, il y en a partout là-bas, ça faisait penser un peu à Psychose. Jan Ghazi avait déjà choisi un lettrage, le designer a travaillé dessus, et plus ça allait, plus ça me plaisait. On y voit des petits personnages, il y a un batteur, il y a un aigle, il y a un arbre, il y a la lune… Et puis c'est vrai que jusqu'à présent, notre logo, c'était quand même un truc très basique, un peu standard…

Mais ça allait bien avec votre style ?
Ah oui, très très bien, on était très contents. On a exploité ce truc-là à donf, avec le logo sur la grosse caisse, "à la manière de", au point que c'est devenu l'image Bo Weavil, avec la grosse caisse allumée, parce qu'on avait la lampe dedans. Ça nous plaisait beaucoup, mais il fallait changer. On avait conscience qu'on n'allait pas continuer à faire des trucs dans cet esprit-là. On l'a fait, maintenant nous passons à autre chose. Et c'est vrai que j'ai tout de suite été conquis par la pochette.

Et le titre est né de la photo ?
Le titre non, c'est Jan qui l'a trouvé, notamment parce que dedans, il y a le titre Diggin' My Potatoes, et puis on a une pelle et une pioche, on est en train de creuser. On est en train de creuser la terre pour aller récupérer la source. Les racines. The roots. On n'est pas en train d'enterrer, on est en train de déterrer. Et Mo' Diggin', c'est ça, simplement creuser un peu plus loin.

> Propos recueillis par RENÉ MALINES, le 25 janvier 2006, à Paris.

BO WEAVIL : MO' DIGGIN' > A Rag Records / Wagram

Avant même d'avoir prêté l'oreille au troisième album de Bo Weavil, on est tenté de prendre la nouvelle de sa sortie comme l'une des meilleures de ces pages réservées aux chroniques de disques. Une fois la touche "play" enfoncée, le sentiment ne fait que se confirmer. C'est vrai, quand on aime le blues, on ne peut que se réjouir de la façon dont le jouent ces gaillards. Car si on trouve une certaine nouveauté à Mo' Diggin', comparé à leurs précédents albums Early Recordings et Midnight Rumble, c'est toujours dans le terreau fertile du bon vieux blues issu du Sud profond que creusent Boogie Matt et Sleepy Vince, ici accompagnés de leur vieux complice Ludovic au claviers. Le nombre de reprises ne masque rien de leurs influences, très marquées pre-war, mais ça n'empêche pas les garçons d'insuffler une identité qui leur est propre à leurs enregistrements comme à leurs prestations, et ce CD ne fait pas exception. On remarque par contre une évolution dans le son, plus clair, plus "propre" que par le passé. Exit la saturation du matériel vintage qu'ils utilisaient auparavant. Un nouveau producteur, un nouveau studio, de nouveaux instruments, et surtout l'envie des musiciens, et c'est un Bo Weavil tout neuf qu'il nous est donné de découvrir ici. C'est toujours Matt et Vince, c'est toujours aux racines du plus terrien des blues qu'ils se nourrissent, mais eux aussi ont effectué leur passage à l'an 2000. Doit-on s'en réjouir ou bien le regretter ? Leur choix semble plus judicieux que s'ils avaient préféré sortir un troisième album en tous points identiques aux deux précédents, malgré l'évidente qualité de ceux-ci. Le blues est une musique vivante, Bo Weavil en est la preuve. Et Mo' Diggin' un évident succès artistique qu'on leur souhaite également commercial. En tous cas, c'est un bien bel album dont l'acquisition ne saurait trop vous être recommandée. : RENE MALINES