IZNOBLUES
Got The Katrina Blues
Stormy Weather chanté façon lazy swamp par Phil Phillips (1) prend ces jours-ci une étrange tournure. Ce n’était déjà pas facile d’habitude, mais la reprise de Come Rain Or Come Shine par James Booker (2) devient carrément inécoutable par ces temps d’ouragan. James Booker… Sa vie, sa mort… comme un miroir du destin de la ville. La plus grande virtuosité, le talent le plus original sans la moindre reconnaissance, sans l’once d’un succès. Le temps de quelque piges chez Domino ou chez Pickett, de quelques concerts à Hambourg ou à Cimiez jusqu’à cette mort indigne, abandonné de tous, dans une salle d’attente d’hopital néo-orléanais. Décès prémonitoire ; le même abandon, le même dédain pour ces victimes du Convention Center livrées à elle-mêmes sans eau, sans soins pendant plusieurs jours. It’s raining so hard (3)… Irma Thomas a dû quitter son Lion’s Den vraisemblablement aussi inondé que la prison centrale toute proche. Charmaine Neville et ses enfants à pieds dans les rues de New-Orleans, au milieu des cadavres et des alligators, essayant de rejoindre un Superdome trop débordé pour accueillir de nouveaux arrivants. Le temps n’est plus aux quarante-cinq tours de soutien aux joueurs de l’équipe locale de foot américain. Ces Saints là seraient même en partance pour Montréal…New Orleans sur Saint-Laurent… tout s’embrouille dans ce chaos apocalyptique. A l’intérieur du stade, Allen Toussaint qui vient de perdre toutes les masters tapes du Sea-Saint Studios (Lee Dorsey, Meters…) ne pense sûrement pas à son dernier chant de Noël (4) :
The day it snows on Christmas in N.O.
There be crazy down on Bourbon Street
The second line is gonna lose the beat
They won’t be havin’fun at Mardi Gras
And all Cajuns are move to Arkansas
Une tempête de neige sur le lac Ponchartin n’aurait pas entraînée plus de stupeur et d’incrédulité. Photo surréaliste que celle parue dans Paris Match (*) montrant le leader des Bayou Renegades, June Victory (5), de l’eau au dessus des genoux, errant sur Canal Street tout en tirant une planche en bois sur laquelle est posée une bassine de survie. Même impression avec Alex Chilton retrouvé par le biais d’images CNN, dans un French Quarter lunaire : "Give me a ticket to an airplane", The Letter, son morceau de référence, enregistré en 60 avec les Boxtops, résonne comme un appel à ces hélicoptères qui passent sans s’arrêter. C’est en attendant en vain le retour de l’un d’entre eux que Charmaine Neville a subi l’indicible : "Ce qu’il a pris de moi n’est rien, parce qu’il n’a pas pris mon esprit, il n’a pas pris mon âme. MY SOUL IS NEW ORLEANS".
Dans les années 70, un groupe de funk local, Brotherhood, racontait l’histoire de ce singe qui devenait président et qui, ma foi, ne se tirait pas si mal que çà de sa fonction. La morale de l’histoire était qu’il valait mieux un singe-président qu’un président qui prenait ses électeurs pour des singes. Toute ressemblance avec des évènements récents est bien sûr totalement fortuite…
: Stéphane Colin
(1) Phil Phillips : "Sea Of Love" (Bayou Records)
(2) James Booker : "Live In N.O." (Night Train)
(3) Irma Thomas : "Time Is On My Side" (Kent)
(4) Christmas Gumbo (Flambeau Records)
(5) Bayou Renegade (Sky Ranch)
June Victory and The Bayou Renegades (Ripple-Effect)
(6) Funky Funky New Orleans volume 4 (Funky Delicacies)
(*) Paris Match n°2938. 8/14 septembre 2005