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JOHN MAYALL On the road ! |
Toulouse, le 23 mars 2005 : la petite salle de
La Mounède, où sont passées tant de gloires du blues, accueille
le parrain du
British Blues. L'équipe est en effervescence, et redouble d’efforts
pour
préparer au mieux le temps fort du festival de blues qu’elle organise. En fin
d’après-midi,
les Bluesbreakers terminent tranquillement leur balance, et le
boss a du retard pour cause d’embouteillage. Il se pointera une heure à peine
avant le show, et dérogera malgré lui à ses habitudes : ce soir-là, il
n’accueillera pas lui-même les premiers spectateurs
dans la salle,
comme c’est
pourtant la règle chez lui. Il se rattrapera après le concert, vendant lui-même
un merchandising autographé à la demande. Le concert quant à lui fut superbe,
d’une énergie
qu’on ne soupçonnerait pas chez un septuagénaire – mention
spéciale également aux
Toulousains d’Awek qui ont chauffé la salle à point et
reçu les félicitations sincères
de Mayall lui-même.
Malgré son retard, et juste avant de prendre son
repas puis de monter sur scène,
John Mayall a bien voulu bavarder avec nous.
Avec son franc-parler habituel.
Parlez-nous de Road Dogs.
C’est un album de quinze titres, dont treize que j’ai écrits
moi-même. Les Bluesbreakers ont écrit les deux autres. On l’a produit
nous-mêmes. Je joue de la guitare, de l’harmonica, du piano, de l’orgue, des
synthés… C’est un disque varié.
Votre calendrier de tournée est très chargé, on peut encore
le voir cette année. A votre âge, c’est raisonnable ?
Ah, ah ! On n’aime pas les jours "off" en tournée. Les jours
"off" en tournée, ça te ralentit. Très franchement, on préfère rester chez nous
plutôt que d’avoir un agenda plein de trous. Alors quand on prépare une tournée,
on veut être sûrs qu’on travaillera tous les jours. J’ai écrit un blues qui
explique cette attitude, No Days Off, c’est aussi le titre d’un CD live
qu’on peut trouver sur notre site web.
Des gens aussi divers que Bob Dylan ou B.B. King, continuent
inlassablement de tourner alors qu’ils pourraient financièrement s’en passer.
Vous aussi. Qu’est-ce qui vous motive ?
Les musiciens ont besoin de ça.
Ils créent des chansons et doivent les jouer tant qu’ils en sont capables. Tu
sais, créer de la musique n’est pas vraiment un travail. Tu ne décides pas comme
ça qu’un jour tu prends ta retraite et que tu te ranges. C’est une forme
d’expression artistique. Tu continues tant que tu en es capable.
Vous êtes particulièrement proche de votre public. A chaque
show ou presque, vous allez rencontrer vos fans…
C’est vrai.
Pas beaucoup de musiciens de rock ne font ça.
Non, je sais. Je pense que c’est un tort. Quand tu joues
quelque part, autant te rendre disponible plutôt que de rester cloîtré dans ta
loge. Autant te montrer le plus possible.
Je sais que vous êtes un grand fan de Ray Charles, quel est
l’hommage que vous pourriez lui rendre ?
C’est vrai que je suis fan de Ray Charles, mais tu sais, je
crois que c’est le cas de chacun d’entre nous ! Sa stature dans la musique était
tellement monumentale…Tout le monde l’aimait et je crois que c’est une perte
immense. Il était seul en son genre ! Je ne l’ai personnellement rencontré
qu’une seule fois, c’était environ deux ans avant qu’il ne parte, peut-être
moins que ça. On partageait l’affiche d’un festival en Australie. Il a joué sur
scène avant nous et c’était un honneur que de le rencontrer, d’échanger quelques
mots avec lui, même si on n’a pas eu le temps de vraiment faire connaissance.
Adolescent, qu’avez-vous ressenti en entendant Albert Ammons
la première fois ?
Formidable ! C’est sans doute le premier pianiste de
boogie-woogie que j’ai entendu. Je trouvais ce son très, très excitant. C’était
le genre de musique que j’avais envie d’apprendre à jouer. Après avoir entendu
Albert Ammons, j’achetais systématiquement les disques que je voyais en magasin
qui avaient le mot "boogie" écrit dessus. C’est ce qui m’a amené à Pete Johnson,
Pinetop Smith, etc. J’ai accumulé ainsi des tas de 78 tours, des éditions
anglaises de disques américains, et peu à peu je me suis constitué une
collection de disques assez large. C’était avant les LP.
En regardant votre parcours, on se rend compte que vous avez
toujours cherché de nouvelles idées musicales. Qu’est-ce que vous écoutez, chez
vous ?
Oh, je n’écoute pas tellement de musique à la maison. Bon,
j’ai quelques CD que je mets dans la voiture. Mais, bon, je pioche un peu
partout, ça ne te donnera pas une indication très précise. Au hasard, je peux
écouter dans ma voiture de la comédie, du vieux blues, du blues actuel, du jazz
de toutes les époques… Je veux bien te faire une liste, mais ça ne te donnera
pas forcément une idée de la musique que j’aime le plus.
Les Bluesbreakers et Bob Dylan ont partagé une session en
studio dans les 60's
Oui.
Pouvez-vous nous en parler ?
Bof… Il n’y a aucun
enregistrement en tout cas. On a essayé mais rien n’en est vraiment sorti.
C’était Tom Wilson, le producteur de Bob Dylan, qui avait eu cette idée. Tout ce
qu’on a fait, c’est de tourner autour du pot pendant quelques morceaux, et rien
de bon n’a commencé à venir. Ah, si, je me souviens qu’on m’a fait écouter,
quelques années après, une cassette pirate de ce jour-là, mais je crois que
c’était juste des discussions sur la bande, avec peut-être deux-trois tentatives
de faire de la musique. Mais rien de très accompli n’en est resté. Une perte de
temps pure et simple.
Une session avec Dylan, une perte de temps ?
(rires)
Oui, bien sûr ! Une énorme perte de temps. Bob Dylan ne
savait pas ce qu’il voulait, il restait très vague, alors que de notre côté, on
voulait tout bien caler : le nombre de mesures, les changements d’accords, et
une fois ça mis au clair, allons-y ! Faire n’importe quoi en attendant
une hypothétique inspiration, ça n’a jamais été une façon de travailler. Pas
avec nous, en tout cas.
Pourtant, quand vous accompagniez John Lee Hooker à la même
époque, je suppose qu’il n’était pas non plus très précis sur le nombre de
mesure ?
(Il s’offusque) Oh non, c’était très, très différent avec Hooker ! Tout
d’abord, on n’avait pas trop ce problème-là, car sa musique restait la plupart
du temps sur un seul accord. Et c’était très agréable de travailler avec John
Lee. Très formateur aussi. C'est vraiment avec lui que j’ai appris le plus en
termes de volume et de dynamique quand tu joues. Rien de tout ça avec Bob Dylan.
Une pure perte de temps, je te dis.
Les Bluesbreakers sont connus pour leurs fameux guitaristes,
mais on remarque que vous avez été une école pour bon nombre de batteurs à
travers les années : Mick Fleetwood, Aynsley Dunbar, Keef Hartley, etc. Comment
choisissez-vous vos batteurs ?
Oui, c’est vrai qu’on a eu d’excellents batteurs. C’est comme
pour tous les autres membres du groupe, guitaristes inclus : je ne leur demande
rien de plus que d’être capable de bien s’intégrer au son de l’ensemble. Si tu
colles musicalement, et si en plus sur le plan personnel on s’entend bien, alors
tu es dans le coup. Et si ça marche vraiment, pas de raison de changer. Joe
Yuele, le batteur qui est ici ce soir est avec les Bluesbreakers depuis vingt
ans.
: Propos recueillis par Eric D.
Photo (D.R.) : Christian Plancqueel