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VIRUS DE ZYDECO
COREY "Lil'Pop" LEDET
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Corey "Lil’ Pop" Ledet est un de ses phénomènes comme la jeune génération zydeco en produit régulièrement, et de plus en plus, entre l'Est du Texas et le Sud-Ouest de la Louisiane. Bon chanteur, c'est un accordéoniste de haut vol dont les shows valent leur pesant de sensations fortes, tant pour les danseurs invétérés que pour les simples auditeurs, amoureux de bonnes musiques. Nous l'avons rencontré, accompagné de ses musiciens dont son guitariste et mentor James Adams, lors de la nuit de la Louisiane à l'Auditorium de Lyon, en novembre dernier.
Virus de Blues :
Corey, la scène zydeco produit aujourd'hui bon nombre de nouveaux venus, la
plupart très talentueux, mais quand ton CD est sorti, il a fait l'effet d'une
bombe. Comment es-tu passé de la position de batteur dans le groupe de ta tante
Rosie Ledet à celle d'accordéoniste leader de ta propre formation ?
Corey Ledet :
C'est ce que j'ai
toujours voulu faire, depuis tout petit. C'est ce que je ressens.
VDB : Mais tu jouais déjà de
l'accordéon ?
CL :
J'ai commencé quand j'avais
dix ans. J'en ai vingt-trois.
VDB : Tu es né à Houston ? Tout le
monde parle de la Louisiane, mais pourrais-tu nous parler de la scène de Houston
?
CL :
La scène zydeco là-bas est
plus speed, un peu différente. Moins traditionnelle. Je ne sais pas pourquoi,
mais je n'étais pas très fan de ça, je regardais plutôt du côté de la tradition.
VDB : Je suppose que Houston étant
une grande ville, alors que le Sud-Ouest
de la Louisiane, c'est plutôt la campagne, ce n'est pas la même vie, et
l'inspiration ne doit pas être la même ?
CL :
C'est exactement ça.
VDB : Et ce n'est que pour la
musique que tu t'es installé en Louisiane ?
CL :
Uniquement, oui.
VDB : Dans quel genre de lieux
joues-tu là-bas ?
CL :
Je fais des trail-rides,
quelques clubs, beaucoup de restaurants et tous les festivals.
VDB : TOUS les festivals ? C'est
bien ! Mais tu parles de trail-rides, tu montes à cheval ?
CL :
Un peu. Je n'ai pas
de cheval à moi, mais je sais monter, oui
VDB :
Nous sommes de gros fans de zydeco et nous sommes
conscients de son évolution constante. C'est une musique encore très vivante qui
bouge énormément, contrairement au blues par exemple, où les gens ayant le plus
à dire ont maintenant disparu. Comme on l'a dit, malgré cette vie et toute cette
concurrence, ton album nous a fait l'effet d'une bombe. A-t-il été perçu de la
même façon chez toi ?
CL :
Oui.
VDB : Tu dois en être fier ?
CL :
Ouais.
VDB :
Tu disais jouer parfois dans des clubs, as-tu déjà joué dans celui de Kermon
Richard, le Richard's Club ?
CL :
Non. Enfin si, une fois,
mais ce n'était pas un concert, c'était à l'occasion d'une
campagne. Mais je n'ai jamais été engagé par lui pour jouer dans son club.
VDB : Mais vous vous
connaissiez ?
CL :
Oh oui.
VDB : Et quel effet a eu
l'annonce de sa mort là-bas ?
CL :
Oh ce fut un grand choc.
Vraiment.
VDB : Sinon, tu joues de l'accordéon-piano,
c'est ton cousin Leon Sam qui t'a appris ?
CL :
Oui. C'était un professeur
sévère. Il voulait être sûr que je savais ce que je faisais. Parfois j'essayais
d'apprendre un morceau, et je lui disais : "J'y arrive pas". Il me répondait :
"Tu dois y arriver, sinon tu n'arriveras à rien".
VDB : J'ai entendu dire que
son groupe les Sam Brothers se reformait ?
CL :
Oui, ils essaient de
revenir, ils se sont effectivement reformés. Mais ils sont sur différents
projets, un ou deux d'entre eux jouent avec d'autres groupes, d'autres ont des
jobs réguliers, ou des engagements qu'ils ne peuvent réellement quitter, mais
ils essaient de trouver un moyen.
VDB : Il y a une scène
zydeco importante en Californie aussi, et une autre bombe, ce fut le premier CD
d'André Thierry. Tu le connais ?
CL :
Oui, nous sommes de bons
amis. J'ai fait une tournée avec lui l'année dernière, j'étais à la batterie. On
est allé jusqu'à New York, des endroits comme ça.
VDB : Et tu comptes tourner
dans le monde entier ?
CL :
Oh oui. C'est pour ça que je
suis ici. (Rires des
musiciens)
VDB : Beaucoup de musiciens
de Louisiane veulent rester chez eux, parce qu'ils ont un travail régulier…
CL :
Et moi j'arrive pas à croire
que je suis ici. Un jour on répète chez lui (il montre James Adams), et du jour
au lendemain, on se retrouve ici. J'arrive toujours pas à y croire. Mais il l'a
dit, il a dit qu'un jour on viendrait jouer en France. Je ne sais pas comment il
le savait…
James Adams : Je le sentais. On répétait, il apprenait encore à jouer. Parfois on passait toute une nuit sur un morceau. Il allait se coucher avec son accordéon, se réveillait avec. Je lui ai montré des trucs, et il travaillait, il travaillait, il restait debout toute la nuit à bosser son instrument. Et je lui disais : "Un jour, tu vas y arriver", mais il ne le voyait pas. Il y a encore trois ans, il ne se voyait pas y arriver. On a commencé ce projet dans mon salon. On a mis tris ans avant d'entrer en studio. Une fois là, il m'a demandé : "Comment ça sonne ?" et j'ai répondu : "Trois ans trop tard". C'est pour ça que l'album porte ce titre, 3 Years 2 Late.
VDB : Votre visage m'est
familier, vous avez joué avec d'autres artistes zydeco ?
JA :
Vous avez du me voir sur
Internet, derrière Cedric Watson ou derrière Corey.
VDB : Sinon quelle est ta
principale influence à l'accordéon ?
CL :
Rockin' Dopsie, Buckwheat,
Clifton Chenier et Leon (Sam).
VDB : Rockin' Dopsie Senior,
je suppose ?
CL :
Et Junior aussi, et son
frère Dwayne.
VDB : Et de quels types
d'accordéons joues-tu ?
CL :
Accordéon-piano, triple
rangée et simple rangée.
VDB : Tu joues sur Gabanelli
?
CL :
Non, Dino Baffetti. Ils sont plus légers, plus solides et plus puissants. J'ai
mon triple note depuis cinq ans et je n'ai jamais eu le moindre problème avec.
(Arthur Carter, le frotteur dit quelque chose à propose de Beau Jocque).
VDB : Beau Jocque a vraiment
apporté quelque chose de neuf, en s'inspirant de choses plus anciennes. Il a
beaucoup emprunté à Boozoo.
JA :
Peu de gens sont conscients
de ça. Il a vraiment pris la musique de Boozoo et il l'a juste élevée à un autre
niveau. Je pense que c'est pour ça que tellement de gens ont accroché à la
musique de Beau Jocque, ils pensaient entendre un son nouveau, mais en fait
c'était un son ancien avec un nouveau beat.
VDB : C'est exactement ça.
Certains ne l'ont pas supporté, mais c'est toujours comme ça quand quelqu'un
apporte de la nouveauté. Il y en a toujours pour dire "c'est pas le vrai truc".
C'est la même chose en blues, zydeco, ou n'importe quelle musique. D'un autre
côté, cette nouveauté attire un nouveau public dont une partie va ensuite faire
le chemin dans l'autre sens pour découvrir d'où ça vient.
VDB : Sinon c'est Dirk
Powell qui a produit l'album, comment l'as-tu rencontré ?
JA :
On a fait pas mal d'ateliers
organisés par Christine et Dewey Balfa, c'est là qu'on a commencé à rencontrer
pas mal de monde. Au début on travaillait juste Corey et moi, et puis un jour
j'ai acheté un accordéon à Larry Miller (célèbre facteur d'accordéons cajuns,
"Bon Tee Cajun Accordions"). Il m'a demandé si je connaissais ces ateliers, je
lui ai demandé de quoi il s'agissait. Il m'a donné une brochure, ça se passait
en Virginie. J'y suis allé avec Corey et on a joué quelques morceaux. Larry nous
a dit avoir aimé ce qu'il avait entendu, et il a dit : "Si vous pouvez faire une
vidéo d'une quinzaine de minutes du même genre", il nous a dit où l'envoyer, et
c'est comme ça que tout a commencé. Et je remercie Larry Miller, je ne le
remercierai jamais assez, parce que c'est grâce à lui que tout a été possible.
Sans lui, nous ne serions probablement pas ici aujourd'hui.
VDB : Christine et Balfa
Toujours ont été parmi les premiers à mêler noirs et blancs pour jouer ensemble,
avez-vous eu des problèmes pour jouer avec des blancs pour ces différents
publics, ou bien est-ce que ça s'est toujours bien passé ?
JA :
Non, je ne vois pas ce genre
de frontière aujourd'hui. Quand on a commencé, on jouait surtout zydeco, mais
après avoir participé à ces ateliers en Virginie, on s'est ouvert à des choses
plus traditionnelles. On y a pris des cours avec Danny Poullard, ça nous a
ouvert la porte de la musique cajun, on a décidé d'en jouer aussi. Aussi quand
on a des engagements dans des clubs cajuns, on n'a aucun mal à jouer le style de
musique qui convient. En d'autres termes, nous n'avons
aucun problème à jouer avec des
blancs. On se rassemble et tout tombe en place. C'est pourquoi sur le disque il
y a un morceau avec juste le violon, le triangle et l'accordéon. On a fait ça
parce qu'on ne voulait pas être strictement zydeco. On voulait présenter un
mélange de tout ce que nous faisons. On l'a appelé That Song parce qu'au
Texas, certains se demanderont probablement pourquoi nous avons mis that song
sur le CD. On essaie simplement de montrer la versatilité de ce que Corey
peut faire.
VDB : Vous parlez de violon,
justement il semble qu'après une forte présence de cet instrument dans la
musique la la, puis sa disparition quasi-totale de la scène zydeco, il y ait
aujourd'hui un retour du violon chez les jeunes créoles, comme dans le disque de
Dexter Ardoin.
JA :
C'est Cedric Watson qui joue
sur les deux CD, celui de Corey et celui de Dexter. Il joue avec Dexter
maintenant.
VDB : Et j'ai entendu dire que
Jeffrey Broussard de Zydeco Force s'y mettait aussi ?
JA : Il sait en jouer,
oui. L'année dernière, on était avec Dewey Balfa et Corey, et Jeffrey venait de
rencontrer Cedric. Il était si impressionné qu'il en a perdu tous ses moyens !
Et Jeffrey n'aimait pas tellement le violon, mais quand il a entendu Cedric, il
est tombé amoureux de ce qu'il entendait. Et Jeffrey a appris à jouer du violon
en deux mois.
VDB : Deux mois ? Mais comment
vous faites ?
JA :
Ça vient du cœur ! C'est
comme Corey… Si c'est quelque chose que tu as dans le cœur, tu le veux vraiment,
tu le sens… si tu le veux vraiment, tu vas y arriver ! C'est dans ton âme, ça
fait partie de toi. C'est comme se lever et manger tous les jours, c'est un
besoin, c'est en toi.
VDB : Nous n'avons pas d'autre
question, mais peut-être avez-vous quelque chose à ajouter ?
CL :
Simplement que j'espère
pouvoir revenir jouer en France sitôt que possible.
VDB : Très sincèrement, nous
aussi, et nous avons hâte de vous voir sur scène tout à l'heure.
JA :
En fait Corey vient de loin,
parce qu'il a commencé à la batterie. Je me souviens d'un temps où il ne savait
même pas comment tenir un accordéon. Il ne savait pas en distinguer le haut du
bas. Mais avec du temps, de la patience, il a appris. La musique cajun, le vieux
zydeco, le nouveau zydeco… il a appris tout ça, et moi j'en ai été le témoin
depuis le premier jour.
VDB : Et ce soir, vous allez jouer
de tous ces styles, ou bien un seulement ?
CL :
Impossible à dire. Je suis
ce genre de musicien qui ne sait jamais à l'avance ce qu'il va jouer. C'est
comme si on me branchait à une prise et il y a cette arrivée constante
d'énergie. Les musiciens me demandent dans quelle tonalité on va jouer le
prochain morceau, je ne le sais même pas. Pas avant d'avoir commencé à jouer.
VDB : Et c'est pareil pour
l'accordéon utilisé ?
CL :
Je n'en ai amené qu'un cette
fois, le trois rangées.
VDB : Bon choix ! (Rires)
Photo © Philippe Sauret