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Illustration © Martin Belcour

 

Du Good Doctor et du bon, le dernier enregistrement de Dr John est une bénédiction, un enchantement "old school" en forme d'hommage aux musiques de N' Awlinz.

Au-delà du florilège d'invités prestigieux (B.B. King, Willie Nelson, Eddie Bo, Snooks Eaglin, Dave Bartholomew, Randy Newman), on retiendra particulièrement la performance d'Earl Palmer. Adoublé non sans raison "Fonk Creator" par le Good Doctor, le batteur octogénaire conserve une patte intemporelle. La version de "Marie Laveau" où banc et arrière-banc des faiseurs de rythmes locaux entourent Earl vaut son pesant d'esprit vaudou. Congo Square semble ressuscité par la grâce du légendaire Smokey Johnson (cf. la compilation éponyme parue sur Night Train), du compagnon le plus fidèle de Professor Longhair, Uganda Roberts et du propre batteur de Mc Rebennack, Herman Ernest (cf. le concert de John Mooney aux Blues Passions). Le plus étonnant après l'écoute d'un disque si respectueux des racines est de ne pas se sentir dépaysé par le dernier Neville Bros. Le son actuel, les machines à sample et les boucles diverses n'empêchent pas l'esprit d'un funk originel quasi-juvénile de souffler de bout en bout. Il y avait longtemps qu'une galette nevillesque n'avait eu si bon goût. L'orgue d'Artie ronronne comme aux plus beaux jours. "Can't Stop The Funk" semble un titre particulièrement adapté à l'état d'esprit actuel des frères et "River Of Babylon" est un terrain de jeu adapté à la voix céleste d'Aaron, gommant définitivement les migraines de Macumba générées par une prescription exagérée de Boney M.

Il flotte dans cette soul music enregistrée dans les années soixante-soixante-dix à Muscle Shoals, Alabama, comme un parfum de paradis perdu. Cette ferveur teintée d'innocence, cette communion toute transitoire entre musiciens blancs et chanteurs noirs se ressent dès les premiers sillons des compilations dévolues à Candi Staton et à Willie Hightower. Parues sur le label du chanteur de Blur, ces moments de grâce peuvent s'écouter en boucle sans la moindre impression de lassitude. Ainsi, on retrouvera dans les disques ultérieurs de Candi, les cimes sur lesquelles la chanteuse semble flotter lorsqu'elle attaque ce "I'm Just A Prisoner". Tout paraît s'y installer progressivement. La caisse claire et le contrechant de guitare préparent l'entrée du piano électrique et des cuivres avec ce mélange de  décontraction et de profondeur qui est le dénominateur commun de tout ce qui sortait des studios Fame à cette époque. Confirmation avec Willie Hightower, chanteur totalement oublié de nos jours. L'ombre de Sam Cooke plane sur les dix-huit plages présentées. Cette ferveur religieuse transmise par une voix à la pureté quasi céleste rivalise aisément avec le nec plus ultra de la Southern Soul. On ne sentira aucune rupture ni aucune baisse d'intensité avec l'album d'inédits d'Eddie Hinton. Et pour cause, l'homme a été le guitariste de référence de ces studios légendaires. Pour la voix, le surnom d'Otis blanc souvent accolé, s'il justifie le statut de "blue eyed soulmen" de haut vol, est par trop réducteur. Reconnaissable entre mille, arrachée et  fragile à la fois, elle s'inscrit au panthéon du genre. Puisés à diverses époques des sa carrière, les morceaux colligés ici témoignent de cette impression d'éphémère tragique, véritable fil conducteur d'une carrière confidentielle, brisée précocement.

On retrouve quelque rescapés, anciens compagnons de route de Hinton dans une Country Soul Revue de haute tenue, sorte de Muscle Shoals fantomatique ressuscité d'entre les limbes d'un monde oublié. La nostalgie véhiculée par ce songwriter unique qu'est Dan Penn n'est pas un vain mot. Les grosses voix de Tony Joe White et de Larry Jon Wilson déclinent leur tranquillité désabusée au travers d'histoires d'outlaws et de marginaux peu soucieux d'attraper le train du modernisme high tech. Seule femme invitée Bonnie Bramlett (de ce duo Delanney and Bonnie que les jeunes de vingt ans ne peuvent pas connaître) possède la même fêlure vocale que ses collègues masculins. Magnifiée par une orchestration épurée et par de tels chanteurs, la moindre bluette flirte avec le drame et ce n'est pas l'"Adios Amigos" de Donnie Fritts qui infléchira le mouvement. Country, soul, blues, les dénominations n'ont plus d'intérêt ici. Au delà des races, Bonnie et Candi sont de la même famille ; Country got Soul et vice et versa.

Dans cette musique, tout peut s'inverser et se mélanger. C'est plus dur à classer dans les bacs, mais c'est mieux à écouter.       

 : Stéphane Colin  

 

Dr John : N'Awlinz Disdat Or D'Udda - Parlophone / EMI Records

The Neville Brothers : Walkin' In The Shadow Of Life - Back Porch / Virgin

Candi Staton : The Sweetheart Of Soul - Capitol Records

Willie Hightower : Walk A Mile In My Shoes - Capitol Records

The Country Soul Revue : Testifyin' - Casual

 

 

( * C'EST PAS DU BLUES )

Illustration © Martin Belcour