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HOUND
DOG
TAYLOR

And The HouseRockers

 

Trash ? Pré-punk ? Garage ?…

 

La musique Diablissime dans ses formes les plus originales d'hier et  d'aujourd'hui doit tout à Hound Dog Taylor et ses HouseRockers. Une autre façon d'aborder blues et boogie, crus, sans que ce soit du rock, une autre manière de faire passer le message, à l'énergie, pure et dure… sans craindre 'les pains' et le puriste ! Vingt-neuf ans après sa disparition, sa musique n'a pas pris une ride

 

Born in Mississippi

Mon vrai nom est Theodore Roosevelt Taylor, je suis né le 12 avril 1917 à Natchez (Adams Co), Mississippi. Ce sont mes parents, Robert et Della, qui m'ont fait découvrir la musique et j'ai fabriqué très tôt mon premier instrument avec les moyens du bord, dont une de ces précieuses boîtes à cigares. Comme tous les gosses, je travaillais à la ferme mais j'avais besoin "d'ailleurs"... En 26 j'ai même profité d'une occase pour partir vagabonder vers le Sud… et de vite rentrer à la maison ! À l'age de 20 ans je savais jouer quelques standards à la guitare, c'est quand j'ai croisé les chemins d'Elmore James et de Robert Nighthawk que le jeu au bottleneck est devenu pour moi une véritable passion. Sans être musicien professionnel j'ai beaucoup joué dans le Delta à la fin des années 30, bien souvent en solo, dans les juke-joints et les bordels, dans les pique-niques et dans les rues de Tchula. J'ai rencontré beaucoup de musiciens, quelquefois j'ai même joué avec eux, comme avec John Lee 'Sonny Boy' Williamson et Robert Lockwood, en 1942, dans l'émission de radio King Biscuit Time de la KFFA à Helena, Arkansas. Des moments inoubliables ! 

Chicago

Je suis monté à Chicago en 1942, comme chacun de nous dans l'espoir d'y trouver du travail, en usine ou ailleurs, sans jamais compter sur la musique. J'ai fait plein de jobs et il m'arrivait régulièrement de chercher une guitare pour aller gratter quelques pourboires sur le marché de Maxwell Street, ce qui me permettait d'arrondir mes fins de semaines.
En 44 je travaillais le jour et la nuit je jouais au Stormy's Club, mon premier véritable engagement à Chicago. Ça marchait bien pour moi avec les filles  - ma bonne humeur et les six doigts que la nature m'a donné à la main gauche n'y étant pas pour rien ! - et l'on me surnomma "Hound Dog" ! Ce qui ne m'a pas empêché de me marier en 1951, et d'avoir cinq enfants… C'est à partir de 1957 que je me suis consacré principalement à la musique. J'ai écumé les bistrots du ghetto, enchaînant gig sur gig et autres jams. J'ai enregistré en 60 et 62 pour les labels Bea & Baby et Firma, des faces restées malheureusement sans lendemain !                     

The HouseRockers

J'ai rencontré Phillips en 1959 dans une taverne du West Side, un an après son arrivée à Chicago. Comme moi il était originaire du Mississippi, lui, de Coita, et comme pour la majorité d'entre-nous il avait appris seul les rudiments de la guitare, le soir, une fois les durs travaux des champs achevés. Tout jeune il avait côtoyé Memphis Minnie - et écouté ses conseils - il avait joué dans les juke-joints de Clarksdale et de Greenwood avec Bobby Hines, puis, dans les années 50, avec Roosevelt Sykes, Memphis Slim et Joe Hill Louis, dans la région de Memphis, Tennessee. À Chicago il était charpentier, mais la musique, c'était son truc !
Ted Harvey était de Chicago.
Je l'avais vu au Club Zanzibar derrière Elmore James en 1955… et rencontré aux obsèques de ce dernier en mai 63. Comme Fred Bellow, Ted possédait une formation de batteur de jazz et, tout pareil, il s'était adapté au blues et avait joué, occasionnellement, avec Little Walter, avec Muddy Waters… avec tout le monde ou presque à Chicago.
C'est en 1965 que les 'vrais' HouseRockers sont nés. Phillips jouait les lignes de basses sur sa guitare Fender Telecaster de 1954 et prenait quelques solos, Ted Harvey - qui avait remplacé Levi Warren - tenait la batterie avec punch mais souplesse, quand à moi, je chantais et je jouais de la slide-guitare sur un modèle japonais que j'adorais trafiquer !
Avec Phillips nous jouions le volume à fond avec de la distorsion ; notre son saturé, le slide distordu, notre répertoire - des blues, bien sûr, mais essentiellement des shuffles et des boogies à notre sauce - notre fougue et notre énergie, plaisaient énormément au public des bistrots de quartiers pas vraiment fréquentables, qui s'éclatait chaque soir de la semaine. Mais il nous fallait bien souvent travailler le jour pour subvenir aux besoins de nos familles : nous touchions moins de $10 par nuit, à peine un peu plus pour le week-end. 

Everyday I Have The Blues

Durant les 60's nous avons travaillé partout à Chicago, le plus souvent dans des bastringues obscurs, mais quelquefois nous décrochions de meilleurs endroits, comme le Mister Kelly's. Nous sommes souvent passés en vedette dans l'émission de radio Big Bill Hill's Blues Show, diffusée sur WOPA, Oak Park, Illinois, très appréciée par la communauté. En 1967 je suis même allé jouer en Europe, dans une tournée intitulée "American Folk Blues Festival" ! Ça ne c'est pas bien passé. C'était comme un choc des mondes ! Chez nous les gens dansent, gueulent, picolent… Là bas ils étaient attentifs, il applaudissaient, mais ils restaient inertes : ils nous écoutaient assis dans les beaux fauteuils de salles cossues ! J'en ai parlé un jour avec Sam Hopkins et ça lui avait fait la même chose, une sorte d'état de choc, tellement le passage entre ces deux mondes était difficile, et nos quotidiens de Noirs américains différents. Nous étions différents, en tous points de vue. Et pas préparés à çà. Pendant le voyage du retour, j'ai pensé que j'avais raté ma chance.

Bruce Iglauer

À partir de 1968 - et jusqu'en 72 - le Florence's Lounge, situé dans le South Side de Chicago, est devenu en quelque sorte notre 'cantine'. Nous cachetonnions un peu partout pendant la semaine, dans des clubs le vendredi et le samedi - Theresa's, Pepper's, Big Duke's Flamingo, Expressway… - et tous les dimanches après midi nous étions au Florence's où nous faisions des gigs de trois ou quatre heures et des jams ; rien d'exceptionnel, c'était notre job quotidien !
C'est là que Bruce Iglauer nous a vu jouer pour la première fois, en 1970.
Ce jeune étudiant blanc originaire de Cincinnati était tombé amoureux du blues en assistant à un concert de Fred McDowell. Par la suite il avait fait, comme il disait, des 'pèlerinages' chez nous, à Chicago, où il avait vu Muddy, Otis Rush, Magic Sam, Carey Bell et beaucoup d'autres. Il s'était énormément investi dans son Université du Wisconsin, à la radio du campus où il passait du blues à l'antenne, et en organisant un concert de Howlin' Wolf puis de Luther Allison, dont il avait assuré lui même la promotion. Son travail et son acharnement avaient payé, ce fut un vrai succès, le concert affichant complet. Luther venait de sortir son premier disque, pour Delmark Records, créé par Robert G. Koester présent lors de cette soirée et fortement impressionné par le dévouement et le boulot de Bruce Iglauer. Quand celui-ci décida de s'installer à Chicago, Koester l'embaucha.
C'est au tout début des 70's que les choses ont commencé à évoluer pour nous. Nous avons fait notre premier festival - avec entre autre Luther Allison - à Ann Arbor, Michigan, puis le Notre Dame Blues Festival, South Bend, Indiana. Bruce Iglauer nous avait pris en estime et croyait en notre potentiel et à notre valeur artistique. Il avait beaucoup appris chez Delmark et tout essayé pour nous. Mais rien n'y a fait : Bob Koester ne voulait rien savoir pour nous enregistrer.
J'ai longtemps pensé que c'était parce qu'il possédait déjà dans son catalogue des slidistes bien meilleurs techniciens que moi, comme JB Hutto. Entre-nous, ça m'a bien fait rigoler quand Benjamin a embauché Phillips et Ted ! Avec le recul, j'ai compris que Koester ne voulait pas investir d'argent et de temps dans un groupe de bouges nourri aux goulots de bouteilles ! - ce qui occasionnait quelques dégâts... - et réputé non fiable hors de 'son territoire'. Pourtant, nous étions les seuls à jouer comme çà, dans cette formule, avec ce son, à Chicago et ailleurs. Certes nous n'étions pas le meilleur band de la city, mais sûrement le plus original, le plus festif et le plus déjanté du circuit. Et croyez-moi, on faisait des cartons !
 

Alligator Records

Bruce Iglauer était un battant. Un jour il m'a fait part de son projet  : il allait fonder un label éphémère, rien que pour nous faire enregistrer un disque ! Il possédait un peu d'argent - d'un héritage - et, bien entendu, il avait pensé à tout. Je l'ai suivi parce qu'il m'y a fait croire et qu'il possédait du métier et la gnac. C'était la première fois, en 30 ans de musique, quasiment 20 ans de carrière sans carte de visite discographique visible, que quelqu'un avait décidé de s'investir à fond dans le bizness pour moi. Et voilà comment mon fan n°1 allait devenir mon ange-gardien, mon producteur, mon diffuseur, mon manager, mon chauffeur etc.. Nous sommes rentrés aux Sound Studios, Chicago, avec notre propre matériel en mai 1971. En deux nuits, notre musique live était en boîte.
Quand il aimait un morceau, Bruce 'claquait' bizarrement des dents en rythme, ça nous faisait tous rigoler, on l'appelait "l'Alligator" !
Il a réalisé un formidable travail de promotion pour notre disque, 'Hound Dog Taylor and the HouseRockers' sur son label… Alligator Records. Il taillait la route, de Chicago à New York, visitait les DJs et leur laissait une des 1000 copies existantes de l'album. Notre musique en a enthousiasmé plus d'un ! Ensuite Bruce allait chez les disquaires du coin, leur expliquait que telles et telles radios allaient nous diffuser et les gars mettaient en vente notre LP dans leurs boutiques.
Il a quitté Delmark neuf mois plus tard pour s'occuper de nos affaires à plein temps 

On The Road

À partir de 1971 nous nous sommes produits dans de nombreux États, dans des émissions de radio, des clubs, des festivals... En 72 nous avons écumé le circuit des Collèges et des Universités. Nous avions un énorme succès auprès des étudiants et même obtenu les faveurs de la presse, essentiellement 'rock'.  La même année nous sommes allés au Canada, au El Mocambo, à Toronto. À Chicago nous avons travaillé au Copa Cabana - qui avait accueilli tout le gratin ! - au Phœnix, au Checker Board, le fief de Buddy Guy.
De 73 à 74 ça a continué, nous avions acquis une bonne réputation - Let's have some fun ! - et ça marchait bien pour nous, de Chicago à New York en passant par Cleveland, Cambridge, Seattle... si bien que Bruce n'a pas tardé pour nous faire enregistrer notre second disque en studio, 'Natural Boogie', puis notre premier live en public, 'Beware Of The Dog' - Alligator comptait aussi à son catalogue un microsillon de Big Walter Horton, et le premier enregistrement du Son Seals Blues Band. Ce n'était qu'un début, vous connaissez la suite !…
En mars 1975, nous visitions l'Australie et la Nouvelle Zélande. Nous avions des tas de projets, des choses solides… mais la cirrhose a fini par m'occire le 17 décembre !!   

Hideaway

Depuis une petite trentaine d'années, quand on m'évoque, c'est surtout pour dire que Freddie King et Sonny Thompson m'ont piqué 'Hideaway', un titre diablement joué encore aujourd'hui. Mais nous faisions à peu près tous çà à l'époque : quand le ciel ne pleurait pas le soleil brillait ! etc. etc.. Même si je l'avais effectivement composé. Ma fierté est d'avoir obtenu deux Grammy pour mes albums, et que mes cinq productions Alligator soient les meilleurs ventes du label. Une belle revanche sur le crabe !! J'ai aussi été très heureux que les anglais de JSP Records fassent ressurgir des oubliettes en 1984 mes cinq plages avec Walter Horton et Dave Myers, ça grattait bien !
Aujourd'hui comme hier, Bruce 'l'Alligator' possède toujours autant de suite dans les idées et continue à faire tourner la HouseRocker's music de son vieux complice sur les platines du monde entier.

I'm with you, baby. I'm with you. I'm natural born with you !

Propos recueillis par JPS, somewhere other the raimbow, en mai 2004.

 

Illustrations : Hound Dog Taylor (© Jon Langford)
Logo Alligator (© Michael Trossman) – Mix ! (JPS)