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Duke Robillard

DUKE ROBILLARD

 

Le Duke prolifique nous revient avec un nouvel album de pur blues, cette fois-ci dédié au répertoire de T-Bone Walker. Rencontre Virus de Blues.

 

T-Bone Walker a toujours été présent dans votre jeu, pourquoi lui consacrer un CD entier aujourd’hui ?
Parce que j’y pense depuis presque 15 ans. T-Bone est ma plus grande influence, celle qui m’a guidée durant toute cette période. Sa musique, son style, résonnent dans mon cœur. Cet album, je me devais de le faire.

D’autres guitaristes, comme Roy Gaines, ont enregistré récemment des hommages à T-Bone. Que pensez-vous apporter de plus ?
J’aime beaucoup le CD de Roy Gaines. Mais notre approche est assez différente : il a choisi d’interpréter T-Bone avec son propre style, alors que moi j’ai le sentiment d’être plus fidèle aux originaux. Tout simplement parce que j’ai passé ma vie à étudier cette musique, et qu’aujourd’hui elle m’apparaît comme quelque chose de très naturel. Je l’ai complètement assimilée, elle fait partie de moi. Pourtant, contrairement à des guitaristes comme Roy Gaines, Gatemouth Brown ou Pete Mayes, je n’ai jamais fait le bœuf avec T-Bone,  je ne l’ai même jamais vu jouer live.

Vous n’avez jamais rencontré T-Bone, mais vous avez produit deux disques de Jay McShann, qui sera à l’affiche du film de Clint Eastwood dans la série « The Blues » de Martin Scorsese. Pouvez-vous nous en parler ?
Oui, c’était un honneur que de rencontrer ce maître du piano. C’est le dernier qui nous reste, parmi les fondateurs du blues de Kansas City. Il est toujours là et j’espère que ce documentaire l’aidera à obtenir la reconnaissance qu’il mérite. Sur le plan musical, nous nous sommes très vite compris : j’ai tellement étudié ce style, cette manière d’enchaîner les accords… Les années 30, 40 et le début des années 50, tout ce style jazz, swing et R&B  : c’est la musique qui est la plus importante à mes yeux, mon plus grand amour.

D’où vous vient cet amour ? Comment avez-vous su que vous vouliez être guitariste ?
En fait, ce sont mes frères qui avaient des guitares. Ils avaient une douzaine d’années de plus que moi. L’un d’eux en particulier jouait assez bien. Ils ramenaient à la maison des disques de rock’n’roll que j’entendais : on était à la fin des années 50, c’était l’époque de Chuck Berry, Fats Domino, Little Richard, Buddy Holly… C’est avec ces disques que mes frères ramenaient que je suis tombé amoureux de la musique. Le blues, je l’ai découvert avec les faces B des singles de Chuck Berry. La face B de « Maybellene », par exemple, c’était « In The Wee-Wee Hours ». Je me souviens aussi de l’impression que m’a faite celle de « School Days » : c’était « Deep Feeling », un instrumental de guitare hawaïenne qui n’avait rien de blues mais qui m’a scotché. Mais quand j’écoutais ces faces B, je ne savais pas qu’on appelait ça du « blues ». J’ai compris plus tard ce que c’était, lorsque j’ai découvert les bluesmen et que je me suis rendu compte que ces musiques étaient très proches : je me suis mis à écouter Elmore James, Little Walter, Muddy Waters, Howlin’ Wolf, tout le Chicago Blues.

Votre jeu est pourtant marqué par davantage de sophistication.
Parce que ces artistes m’ont ensuite amené à écouter B.B. King, qui à son tour m’a introduit vers un blues plus sophistiqué, avec des cuivres. J’en suis devenu dingue : je me suis mis à collectionner tout un tas de 78 tours de blues et de R&B, le vieux R&B : celui de Louis Jordan, T-Bone Walker justement, Wynonie Harris, Roy Milton et bien d’autres. La suite de l’histoire, tu la connais, c’est à partir de là que j’ai créé mon groupe, Roomful Of Blues, en 1967.

C’était votre premier groupe ?
Mon premier groupe sérieux, oui. J’avais déjà eu deux groupes au lycée, mais là je suis passé à autre chose. Dans tous les disques de Rhythm & Blues que je possédais, j’étais fasciné par les cuivres. Avec Roomful Of Blues j’ai pu avoir une section de cuivres, et ça m’a permis de vraiment approfondir ma connaissance du swing. Le swing, c’est ce qui fait que le jazz et le blues sont très proches.

Les disques des années 20, 30 ou 40, dont vous étiez friand, étaient-ils facilement disponibles à l’époque ?
Oh, que non ! On n’avait pas autant de rééditions qu’aujourd’hui. A l’époque, dans les années 70, on trouvait encore des magasins de disques qui vendaient, dans leur sous-sol, de vieux 78-tours usagés. Je passais mon temps là-dedans. Ca m’est même arrivé de payer des disquaires pour qu’ils me laissent fouiller dans leur sous-sol ! J’achetais lorsque je trouvais un disque publié sur un label que je connaissais. Certains noms d’artistes, aussi, sonnaient comme des noms de chanteurs de Rhythm & Blues, alors j’achetais même si je ne connaissais pas.

La musique des années 40 n’était pas des plus branchées dans les années du psychédélisme et de la soul. Comment avez-vous réussi à trouver des musiciens pour Roomful Of Blues ?
C’est vrai, je crois qu’on était le premier groupe de l’époque à jouer dans ce style, à reprendre Louis Jordan, T-Bone Walker ou Wynonie Harris. Aujourd’hui on en trouve à foison, mais à l’époque, aux Etats-Unis du moins, on était les seuls. On venait tous de Rhode Island, je connaissais certains musiciens depuis le lycée. Lorsque je l’ai connu, Fran Christina, le batteur original des Fabulous Thunderbirds, apprenait tout juste à jouer de la batterie. Je lui ai  même  donné  des  conseils ! Pareil avec les saxophonistes… Je leur donnais des disques pour qu’ils apprennent.
Moi, je ne voulais jouer que cette musique. Mon rêve, c’était de faire revenir cette musique à la mode. On a joué partout, et la plupart du temps, les gens ne voulaient pas entendre ça. Le plus dur a été à l’époque du disco. Il est arrivé qu’on nous jette des trucs à la tête ! Mais bien souvent, les gens étaient surpris au début, puis réalisaient que c’était une musique dansante. Et ils finissaient par danser ! Et peu à peu, on a commencé à faire l’objet d’une sorte de « culte » à New York City, vers 75…Mais il fallait quand même se battre pour trouver des gigs. On a ramé dix ans avant d’avoir la possibilité d’enregistrer notre premier album, sur Island en 1977.

Pourquoi avez-vous arrêté ?
Oh, pour plusieurs raisons. J’avais fait ça pendant douze ans, j’ai décidé qu’il était temps d’explorer d’autres horizons musicaux. J’étais en train de développer mon jeu de guitare, mon écriture… Même si j’étais le leader de Roomful Of Blues, il me fallait composer avec les autres, donc si je voulais développer ma musique à moi, il fallait que j’ai un groupe d’accompagnateurs.

Comment avez-vous rencontré Ronnie Earl ?
Quand il commençait à jouer, il venait souvent nous voir, et quelquefois nous l’invitions sur scène. Je le connaissais très bien au moment de quitter le groupe, et c’est très naturellement qu’il y il a trouvé sa place. Tu sais, je suis toujours la carrière de Roomful Of Blues, même aujourd’hui et après tous ces changements de personnel. C’est un groupe qui a su rester une institution.

Quelles étaient vos relations, avec les Fabulous Thunderbirds ?
On se connaissait très bien, bien sûr. A leurs débuts, ils sont venus jouer dans notre secteur pendant une tournée. Je suis allé les écouter et c’est là qu’est née une estime réciproque. On a très souvent partagé l’affiche, on leur a prêté nos cuivres, ils ont enregistré une de mes compos… On a toujours été proches, on a souvent travaillé ensemble. C’est pourquoi, quand Jimmie Vaughan en est parti, je l’ai remplacé – d’autant que la rythmique des Thunderbirds avait été celle de Roomful Of Blues… Une des raisons pour lesquelles ils m’ont appelé en renfort, c’est que lorsque j’ai quitté Roomful Of Blues, j’ai pris une orientation musicale qui mettait davantage la guitare en avant, et qui n’était en fin de compte pas très éloignée de ce qu’ils faisaient. Entre Roomful Of Blues et les Thunderbirds, j’ai passé dix ans à la tête d’un simple trio ou quartet. Mon premier album solo, je l’ai vécu comme un retour à mes premières amours, après ce que j’avais fait avec Roomful Of Blues : un retour au rock’n’roll. Dans ma vie, j’ai pris trois directions différentes, mais qui se rejoignent et qui forment ce que je suis : le blues, le swing jazz, le rock’n’roll roots. J’ai fait quelques disques qui essayaient de réunir ces influences, le blues d’une part, et les musiques qui s’y rattachent d’autre part. Il y a tant de disques de blues qui sortent, beaucoup se ressemblent. J’ai essayé de faire quelque chose de différent, en exploitant à fond ma capacité à aborder des styles et des sons différents. Tout en continuant à sortir des disques unifiés autour d’une thématique, comme cet hommage à T-Bone Walker.

Vous avez beaucoup travaillé la guitare. Travaillez-vous votre chant ?
Mmmh, je fais quelques centaines de dates par an, depuis un certain moment, je pense que c’est ça « travailler le chant » ! Ma voix a pris de l’assurance avec les années, sans que je l’aie particulièrement travaillée.

Dans « La Palette Bleue », vous reprenez un morceau de Bob Dylan. Vous jouez sur l’album « Time Out Of Mind » de Dylan, mais pas sur le morceau en question. Le reprendre sur votre propre disque, c’était une revanche ?
Oui, parce que j’ai bel et bien joué sur la version originale ! Ils n’ont pas utilisé ma bande. Laisse-moi t’expliquer, c’était une expérience très étrange. On était tous dans le studio, douze ou quatorze musiciens en train de jouer en même temps, et le producteur choisissait quelques pistes, sur toutes celles qui étaient enregistrées. Mais moi, je pensais que ce que je jouais collait parfaitement au morceau ! Quand je suis reparti, je me suis dit que j’allais enregistrer ma propre version. Mais c’était très sympa de partager le studio avec Bob Dylan. C’est quelqu’un qui est plongé à fond dans sa musique. Chaque morceau était répété, essayé trois ou quatre fois de la même manière. J’ai été frappé par sa capacité à réarranger un morceau dans l’instant, de manière très spontanée. En fait, il m’a choisi parce qu’il se rappelait de moi, j’avais fait sa première partie avec les Thunderbirds. 

Vous avez repris Charley Patton, mais réarrangé à votre manière. Envisagez-vous, à l’avenir, de vous mettre à l’acoustique ?
Oh non ! Je déteste jouer en solo. Je ne me sens pas à l’aise du tout. J’ai besoin de la sécurité que procure une section rythmique, même si aujourd’hui je préfère être accompagné par de petits ensembles plutôt que par des grandes formations. Et puis c’est très difficile de chanter du Delta Blues de manière convaincante. Enfin, personnellement, je pense que je n’ai pas la voix pour ça. Quand j’ai fait « Poney Blues », il a presque fallu que je réécrive le morceau pour l’adapter à ma personnalité ! De même, je peux jouer dans le style Chicago Blues, mais je ne le fais pas, sauf en accompagnement, car je m’estime incapable de le chanter.

Que pensez-vous de votre carrière ?
Que j’ai eu de la chance. J’ai pu accompagner beaucoup d’artistes importants de Rhythm & Blues : des gens comme Big Joe Turner, Eddie Cleanhead Vinson. Sur scène, j’ai eu la chance de côtoyer des gens comme B.B. King, Freddie King, Muddy Waters… J’ai eu l’opportunité de pouvoir vivre de ma musique, de passer ma vie à étudier les différents styles de blues. Ce qui m’a fait le plus plaisir dans ma carrière, ce n’est pas les récompenses, mais c’est un compliment d’un de ces musiciens, qui me remercie de l’avoir accompagné correctement.

: Propos recueillis par Eric D.

 

Photo : Duke Robillard (D.R. Jocelyn Richez)

Duke Robillard et DixieFrog sur  www.bluesweb.com