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Blues Big Sound Big James
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Funky à en puer ! "Big James est un homme de son temps. Il a grandi dans le ghetto de Chicago, où comme tout les gamins il écoutait la black music du moment, assénée avec fougue par des groupes comme le célèbre Funkadelic de George Clinton, les Ohio Players, Kool & the Gang... "La première fois que j’ai vu un tromboniste, c’était Fred Wesley" raconte-t-il. "Je m’en souviendrai toute ma vie. J’avais sept ans et mon père m’avait emmené voir le show de James Brown. C’était un samedi. J’ai passé le concert assis sur le côté de la scène (mon père connaissait l’organisateur), complètement fasciné. James Brown me lançait des coups d’œil curieux pendant qu’il chantait, l’aire de se dire ‘qu’est-ce que ce gamin fout là ?’. Je peux encore voir ces images dans ma tête, y compris les vêtements que portaient les musiciens ce soir-là. C’est là que j’ai compris ce que je voulais faire plus tard." James Montgomery s’essaye un temps à la guitare, se rend compte qu’il est plus à l’aise avec les cuivres. Il revient vers le trombone et se met à écouter les trombonistes de jazz. Sans oublier les disques qu’il entendait, enfant, chez sa mère (John Lee Hooker, B.B. King…) et son grand-père, lui-même guitariste. "Mon grand-père était un musicien amateur. Il jouait à l’oreille. Le blues, ce n’est pas une musique que l’on réfléchit. C’est quelque chose qui vient du cœur. C’est ce que m’a transmis mon grand-père".
Sur la route
Et James se met à trimballer son trombone, sur la route de l’école. Un musicien l’interpelle au coin d’un club : "Petit, qu’est-ce que tu tiens là ? Un instrument ? Tu te crois capable d’en jouer ? Tu connais le blues ?" Le musicien en question, harmoniciste, s’appelle Billy Branch, qui a l’habitude de se produire dans le club : son groupe, les Sons of blues, y accompagne le chanteur Big Voice Odom. Mais derrière les vannes de Billy Branch, se cachent bien entendu des encouragements. James raconte : "Ils m’ont fait jouer avec eux, Billy Branch et Carl Weathersby. Billy m’a enseigné pas mal de choses, sur le sens du rythme, de l’improvisation". Petit à petit, c’est comme çà qu’un musicien de blues se construit. Un musicien que ne tardent pas à remarquer des géants. James intègre successivement les groupes de Little Milton et Albert King. A même pas 20 ans, c’est son éducation musicale qui commence sérieusement, au cœur du chitlin’ circuit.
"Avec Milton, j’ai découvert ce qu’était la vie de musicien. C’est la première fois que je partais en tournée. Je n’avais que 19 ans. Je mentais sur mon âge parce qu’à 19 ans, je n’avais même pas l’âge légal pour être dans le public. Alors je disais que j’en avais 21… Plus sérieusement, c’est là que j’ai commencé à apprendre le métier. Milton avait un show très professionnel, très carré, presque millimétré. On savait à l’avance les morceaux qu’on allait jouer, on savait qu’après tel chorus il y avait tel autre solo… Chaque musicien avait une place bien définie et la tenait. Ca a été très différent avec Albert King. Albert, lui, n’avait pas de liste préétablie. Il se pointait sur scène et il faisait selon son humeur. Il fallait le suivre. C’était plutôt dur, d’autant qu’il était très fidèle à sa réputation : il avait un caractère de chien, c’était un leader très irascible. Il t’engueulait pour n’importe quoi. Quand tu jouais mal, il t’engueulait. Même quand tu savais que tu avais bien joué, il t’engueulait parce que selon lui, tu n’avais pas été bon. C’était pour le principe. Certains leaders sont comme ça. Pas Milton, pas Bobby Bland, pas B.B. King. Et certainement pas moi ! Mais je ne garde pas un mauvais souvenir de cette période, même si très vite je me suis barré parce que j’en avais marre. Je respecte énormément Albert King et je lui serai éternellement reconnaissant, parce que c’est aussi le métier qui est rentré pendant cette expérience. Ce que j’ai appris auprès de lui est sans prix."
Blues from the ghetto
James revient ensuite à Chicago, où il retrouve son père, qui s’occupe d’un petit bar de quartier à deux pas du mythique Checkerboard Lounge, ainsi que son oncle, Pete Allen, un guitariste de blues. Ensemble, ils écument les clubs des quartiers noirs, dont James énumère les noms avec nostalgie. "A l’époque " se souvient-il, " il y avait beaucoup plus d’endroits pour jouer. Pas question de décrocher le pactole, mais au moins on pouvait jouer, jouer, et encore jouer. Aujourd’hui, il reste encore le Lee’s Unleaded et quelques autres, mais beaucoup ont fermé. Quand la drogue est arrivée, les gens qui venaient s’éclater au club de leur quartier, écouter du blues et boire un coup, ont trouvé de nouveaux moyens de s’éclater. Ca a fait énormément de mal aux petits clubs de quartier." James ne tarde pas à intégrer le groupe du chanteur Johnny Christian, les Chicago Playboys dont fait déjà partie le saxophoniste Charles Kimble. "C’est avec Johnny que j’ai terminé mon apprentissage, de 88 à sa mort en 93, cinq à sept soirs par semaines. C’est avec lui que j’ai vraiment appris, progressivement, à être le leader d’un groupe. Il m’a montré énormément de choses, il me laissait jouer deux ou trois morceaux avant qu’il ne monte sur scène, c’est comme ça que je suis devenu meilleur musicien." Le groupe de Johnny Christian est l’orchestre maison du Checkerboard Lounge. Là, James joue avec quiconque est invité à monter sur scène. C’est-à-dire, tout ce que la ville compte de bluesmen et de blueswomen : Junior Wells, Koko Taylor, Little Smokey Smothers et tant d’autres… Au cours d’un jam-session, il commence à chanter, à la suite d’un pari avec un ami. La boucle est bouclée.Big James est remarqué par Otis Rush, qui lui propose d’intégrer son groupe. Fort de cette expérience avec le guitariste le plus respecté du Chicago blues, James intègre presque naturellement la formation que Buddy Guy se prépare à emmener en tournée. Le tromboniste, qui vient pour la première fois en France (Elysée-Montmartre) découvre avec le guitariste superstar un nouveau monde. "Avec Buddy Guy j’ai vu ce que le métier pouvait apporter. On jouait dans les meilleures salles, on avait les meilleurs hôtels. La première classe partout, traités comme des rois. C’est là que je veux emmener les Chicago Playboys. Buddy Guy m’a montré un exemple à suivre." Big James garde avec Buddy Guy une relation forte, d’estime réciproque et d’amitié. Buddy reçoit régulièrement les Chicago Playboys dans son club, le célèbre Legends. Il lui donne des conseils sur le business et l’emmène avec lui lorsqu’il est invité à monter en guest-star sur le scène du Royal Albert Hall.
"Buddy m’a présenté Eric Clapton. On a joué avec lui à Londres deux fois, et puis je l’ai revu l’an dernier quand il est venu jouer à Chicago. Avec Buddy on est allé le voir backstage. Buddy et lui ont jammé sur scène ce soir-là, c’était géant. Eric est quelqu’un de très humble et de très respectueux. Il se souvenait de moi et de mon jeu. Je lui ai timidement offert un exemplaire de mon CD, il s’est montré très enthousiasmé et nous a emmené l’écouter avec lui. C’est quelqu’un de très chaleureux."Le blues d’aujourd’hui et de demain
Les Chicago Playboys sont tous individuellement des musiciens extraordinaires. Charles Kimble, le saxophoniste placide, Mike "The priest" Wheeler, guitariste toujours là où il faut, Goldie Blocker, excentrique aux claviers, Cleo Cole, batteur puissant, et bien sûr l’inénarrable C.C., bassiste de génie et showman accompli aux grooves hypnotiques, sont tous des maîtres du funk et du blues des ghettos black. Mais lorsque Big James monte sur scène, le son du groupe prend une dimension supplémentaire. "Je revendique l’héritage de Muddy Waters et de ces géants. Leur musique n’est pas la musique du passé, elle est intemporelle. Modestement, j’essaye de la faire découvrir aux jeunes. Et pour cela, j’ai ma manière à moi. Je la mélange à des trucs qui font bouger les jeunes : le funk, la musique de James Brown et de George Clinton. Loin de s’opposer, elles se marient plutôt bien". Aujourd’hui, Big James & the Chicago Playboys est l’un des groupes phares du Chicago blues. Leur musique, comme celle de Vance Kelly, mélange le blues profond et urbain, la soul du chitlin’ circuit et le funk débridé. Le CD publié dans la collection "Blues Power" d’Isabel Records (qui, au début des années 80, publiait l’époustouflant "Stone Crazy" d’un certain… Buddy Guy !) montre Big James et ses musiciens capables de groover comme personne (le très funky "A Happy Fool", la reprise de "All Your Love" de Magic Sam…) comme d’émouvoir aux larmes ("8 Men And 4 Women" parmi d’autres exemples). Il regorge de perles, puisées dans deux CD auto produits et remarqués par la presse blues américaine (disponibles sur le site
www.bigjames.com, ils comptent deux formidables titres funky malheureusement oubliés dans la compilation : le très sombre "I’m Going Home 2 Live With God" et le célèbre morceau de George Clinton "Cosmic Slop"). Même si les solos de trombone sont rares, Big James accomplit une œuvre salutaire. Primo, il remet à l’honneur les cuivres dans le blues et montre que la puissance de celui-ci n’est pas qu’une affaire de volume de l’ampli guitare. Secundo, en mélangeant blues et funk il remet à l’honneur le blues dans la black music contemporaine. Mais le meilleur argument reste celui-ci : sur scène, ça déménage comme jamais. Vous voilà prévenus.
Interview réalisée par Eric D. au
Jazz Club Lionel Hampton, Hôtel Méridien, Paris (2003)
Le jazz club est le premier à avoir invité en
Europe Big James And The Chicago Playboys.
Virus de Blues est le premier magazine français a avoir publié une interview de
Big James And The Chicago Playboys.
Photos : © Paul Thomas
Merci à Didier Tricard