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COOKE EN STOCK |
Deux coffrets, un CD complémentaire, une partie majeure de
B.O. de film à succès ("Ali"), pourrait nous faire croire à une
année Sam Cooke. On peut toujours rêver mais l'on verra plutôt dans cette
brusque avalanche succédant à une longue période de disette le fruit d'un
hasard sur lequel il fait bon surfer et qui éclaire de façon opportune la
carrière de ce réel précurseur de la soul moderne, source d'inspiration de
nombreux artistes qui, d'Otis Redding à Eugene Bridges, n'ont jamais manqué de
payer leur dû.
Disparu trop tôt, Sam Cooke possédait à l'évidence un charisme et une aura bien restituée dans la dernière partie du quatrième CD du coffret RCA. Enregistré à l'Harlem Square Club en janvier 63, il règne là une atmosphère à fleur de peau propre à libérer des énergies extrêmes. La version de "Bring It On Home To Me" qui ouvre le film consacré à Mohamed Ali et qu'on retrouve ici, rend bien compte des paroxysmes qu'était capable de générer "the man who invented soul". Le contraste entre cet ouragan d'énergie et les subtiles variations issues du 33 tours "Nightbeat" qui ouvre ce quatrième CD n'en est que plus frappant. La sobriété des arrangements n'est assurément pas pour rien dans ce sentiment d'épure et de perfection qui se dégage de ce réel chef-d'œuvre de la musique afro-américaine. Très honnêtement, on ne plane pas toujours sur les mêmes cimes dans les trois premiers CD, la faute à quelques violonnades par trop cotonneuses et à certains choix de répertoire discutables. Il n'empêche, l'homme, à l'instar d'un Ray Charles ou d'un Johnny Adams, chanterait le bottin au fond d'un pot de miel qu'il continuerait à transmettre cette ferveur qui transforme la moindre bluette en drame antique. Ferveur bien entendue présente dans l'intégralité des faces Specialty de l'autre coffret qui avaient révélées le jeune Sam alors simple chanteur au sein du groupe de gospel des Soul Stirrers.
Il y a Quelques années, sous la Gospel Tent du New Orleans Jazz And Heritage, je me souviens avoir assisté à la reprise de "Wonderful" par Aaron Neville, soutenu pour l'occasion par les Zion Harmonizers. Le lien entre Aaron et Sam Cooke, auteur de la version originale présentée ici, est évident et l'on goûtera tout le long la cohésion de ce quartet vocal qui tutoie les anges et la sainte trinité dans le même voyage. Comme dirait le camarade Siné - grand habitué de la Gospel Trent - : "Dans ces moments là je ne suis peut-être pas croyant mais assurément drôlement pratiquant…"
Avoir aussi lourdement investi sur le Cooke sans posséder "A Change Is Gonna Come" en V.O., c'est toute la gageure et l'absurdité proposées par le coffret RCA qui oublie quelques uns des plus grands hits du chanteur, hits présentés sur un CD de rattrapage pour complétistes ultimes.
Assurément un meilleur investissement que les actions d'Eurotunnel, mais quand même y'en a qui exagèrent…
: Stéphane Colin
> "
Complete Specialty Recordings", coffret de trois CD.
SAM COOKE WITH THE SOUL STIRRERS
The Complete Specialty Recordings
Ace Records 3SPCD-4437-2
"Quatre-vingt-dix pour cent de la musique noire-américaine enregistrée depuis la deuxième moitié des années cinquante porte une dette envers Sam Cooke". J'ai encore dans l'oreille cette déclaration résolue d'Eugene "Hideaway" Bridges lors d'un point presse d'avant concert à l'occasion d'une édition des Blues Passions de Cognac. Si cette affirmation m'a touché d'emblée, c'est qu'elle rejoignait ma pensée profonde.
L'influence qu'a exercé ce chanteur à la voix inimitable (et souvent imitée) est encore plus palpable depuis la fin des années 90 et le retour aux États Unis d'une forme contemporaine de R 'n' B.
L'histoire de Sam Cooke (1932-1964) est celle d'un héros de roman mi-ange mi-démon : de l'esquive légendaire qu'il fit à sa famille d'origine, le gospel, pour voguer vers le triomphe profane, à sa fin sordide par meurtre aux circonstances toujours lourdes de non-dits.
On a disséqué et redisséqué l'œuvre et l'attitude de Sam Cooke, pour en faire tour à tour, et de manière fréquemment excessive, un féal de l'establishment ou un prophète de l'émancipation noire. Portée au pinacle et adaptée dans toutes les langues, la qualité de sa production pop / soul à partir de 1960 est périodiquement remise en question. Une bonne partie des ses chansons est pourtant immortelle et n'est souvent comme chez ses pairs, que la déclinaison laïque de musiques et de rythmes recueillis dans ce Mont de Piété lyrique que constitue le gospel.
Reste donc son passage fulgurant dans cette galaxie gospel au sein des Soul Stirrers de 1951 à 1957. D'un abord forcément plus abrupt que les faces ultérieures chez RCA, la quasi totalité des titres qu'il grava pour la marque Specialty avec cette formation, fait entendre Sam Cooke à son zénith.
Le jeune chanteur y est propulsé par la flamme des R.B. Robinson, Leroy Crume, J.J. Farley et Big Paul Foster dans une débauche d'harmonie vocale et de foi… communicative et c'est un bien beau cadeau de Noël 2002 déposé dans les brodequins des blues 'n' soul brothers par le label Ace / Fantasy que ce coffret de trois CD (avec son livret !). La plus grande partie de ces sessions studio a déjà été maintes fois rééditées avec ses "masters" et "alternate takes" ; le compilateur y a tout de même rajouté quelques perles rares comme cette prestation déchaînée du 22 juillet 1955 au Shrine Auditorium de Los Angeles.
L'intérêt est donc de trouver ici tant de pièces envoûtantes chronologiquement présentées et restituées dans un bel écrin sonore. Les premières ballades sentimentales de Sam Cooke en solo, qui lui attirèrent l'opprobre d'une parie du milieu religieux, sont également reprises.
Un conseil tout personnel pour aborder ce coffret : commencez par les titres rageurs ou pleins d'abandon spirituel que sont "He'll Welcome Me" (CD 2 / N°2), "Must Jesus Bear The Cross Alone?" (CD 3 / N°6) ou "Touch The Hem Of His Garment", avec Sam en solo, au sommet de sa pureté magique (CD 3 / N°3).
: Dominique Lagarde