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Jean-Christophe PAGNUCCO


 



     BENOIT BLUE BOY      


Avant Benoit, il n'y avait rien... C'est à peine exagéré... chacun s'accorde sur le fait que la naissance de la vaguelette du blues francophone est à dater de la parution du premier album éponyme de Benoit Blue boy en 1979. Même si de nombreux musiciens français s'adonnaient au blues depuis les années 60, pour la première fois paraissait un recueil exclusivement composée de blues écrits en français, compositions originales de leur interprète. Bien sûr, le blues avait fait, ça et là, quelques apparitions sporadiques dans les répertoires de quelques vedettes nationales : Colette Magny (Mellocoton), Nino Ferrer (Si Tu M'aimes Encore, Pour Oublier Qu'on S'est Aimés, Le Blues Des Rues Désertes...), Antoine (Je Reprends La Route Demain), Claude Nougaro, Johnny Hallyday (Pour Moi Tu Es La Seule, Toi Qui T'en Vas, Excuse-Moi Partenaire), Eddy Mitchell (J'avais Deux Amis, Caldonia), Joël Daydé, Henri Salvador (sur un mode assez méchamment parodique) ou encore Mike Lécuyer. Mais jamais un blues classique n'avait constitué la matière d'un 33 tours chanté en langue francophone. Cet album éponyme, à la source d'un mouvement qui n'en finit pas d'agiter ses soubresauts malgré les contestations régulières de certains puristes ayant un avis tranché sur la couleur linguistique du blues, a vu également apparaître un personnage atypique, aussi mystérieux qu'attachant, aussi charismatique que désarmant de simplicité.

Benoit Blue Boy est un personnage, et c'est peu dire. Quiconque aura croisé sa nonchalante silhouette sur les scènes hexagonales aura été frappé par sa placidité, l'intensité de son propos, la densité de son implication musicale et par ses talents de musiciens non démonstratifs mais extrêmement impressionnants à la manière, toute proportion historique et musicologique gardée, d'un Muddy Waters.

Cette nouvelle figure du blues et de la scène musicale française est venue imposer une silhouette attachante et surtout foncièrement originale, dans  la mesure où il a conjugué certaines caractéristiques jusqu'alors réputées inconciliables.


     
                                                        Benoit Blue Boy, Cognac Blues Passions 2001 (JP Savouyaud)


Tout d'abord, Benoit Blue Boy est un artiste totalement français et francophone. Il n'a jamais cherché à se positionner sur le marché européen et n'a jamais envisagé de mener sa carrière professionnelle en chantant en anglais. Il a par ailleurs souvent souligné les raisons qui ont motivé ce choix, à savoir la crainte d'une schizophrénie (ce sont ses termes…) et d'un déguisement qu'il se jugeait inapte à supporter : son anecdote favorite est celle des musiciens de blues français chantant en anglais et se voyant incapables de tenir une conversation avec des touristes anglophones bluffés par leur prestation. Par ailleurs, Benoit Blue Boy a toujours revendiqué l'influence des yéyés (le tortillage, c’est le twist !), qui ont aidé à son éveil musical et dont l'influence, transitoire vers le blues, l'a également conditionné au chant en français. Pleinement français, Benoit Blue Boy n'en demeure pas moins, ensuite, pleinement bluesman. Avec douze albums au compteur, Benoit Blue Boy ne s'est jamais départi des mélodies et des arrangements du blues traditionnel, dont il est un connaisseur original et cultivé, et dont il a utilisé certaines couleurs inédites. Comme il le dit lui-même, ses influences les plus fortes sont Jimmy Reed et Fats Domino. L'énumération est lacunaire et réductrice. Dans les disques de Benoit Blue Boy, les blues chicagoaen et néo-orléanais sont bien sûr à l'honneur, mais, fait suffisamment rare pour être soulignés, ils le sont dans la totalité de leurs expressions. Le bluesman français a en effet exploité, au fur et à mesure de son aventure discographique, des styles qui n'avaient jamais eu de réelles transposition française : zydeco, musique cajun mais aussi, passant les frontières texanes pour gagner Mexico, rock'n'roll tex mex et tejano blues, sur des traces que n'auraient certainement pas reniées Doug Sahm et ses Texas Tornados. Pleinement français et pleinement bluesman, Benoit Blue Boy n'a pas créée qu'un style : il a véritablement créé une langue, une façon d'exprimer le blues en français, qui a fondé son influence considérable et l'apparition de certains émules particulièrement talentueux (Steve Verbeke). C'est un paradoxe qui fait la singularité de Benoit Blue Boy : pour en rester pleinement français, il est sûrement le bluesman français qui a le mieux compris l'esprit du blues américain. L'univers des créations de Benoit Blue Boy est l'illustration éclatante d'une vérité que peinent à voir les observateurs lointains de la note bleue : le blues est une musique qui n'est certainement pas triste et encore moins misérabiliste. La langue de Benoit Blue Boy, pour être francophone, n'en reste pas pleinement fidèle à l'esprit des pionniers du blues : humour féroce, ironie, insinuations et déclarations pleines de double entendre, scènes de vie de couples ou de bistrot, complaintes décalées sur des histoires du quotidien... Chanteur, auteur compositeur, Benoit Blue Boy est enfin un brillant instrumentiste. Son jeu d'harmonica, bien que revendiquant l'empreinte de Little Walter, est majoritairement acoustique, avec un sens de l'économie et de l'à-propos qui le rapproche davantage de Sonny Boy Williamson II, voire de Jazz Gillum et de Jimmy Reed, dont il a hérité la grande expressivité dans son jeu en première position (Un p'tit nuage !). Loin de l’exubérance d’un Sonny Terry, Benoit, qui a également des talents de guitariste qu’il n’exploite que parcimonieusement en studio mais jamais sur scène, est une véritable esthète de l’instrumentation blues. Cette autre particularité, loin des tours de force instrumentaux qui cimentent souvent la renommée scénique des musiciens de blues européens, rajoute à l’excellence de son œuvre, féconde et de qualité constante, cohérente et souvent surprenante.


     
                                              Lazy Lester & Benoit Blue Boy, Cognac Blues Passions 2005 (JP Savouyaud)


Sur sa jeunesse et ses années de formation, notre Hérault du blues français est peu disert. Né à Paris en 1946, il découvre la musique par l’exposition au phénomène yéyé puis au jazz et au blues répandu en France au début des années 60 : assez peu d’artistes en définitive : Ray Charles, Memphis Slim, Sonny Terry et Brownie Mc Ghee…Le déclic viendra, dit-il, d’un voisin qui jouait du sax tenor, qui l’a initié à l’harmonica vers ses treize ans et a entendu faciliter son apprentissage en lui prêtant des disques de Jimmy Reed, lequel demeurera son influence majeure, et de Little Walter. Ces sésames précieux, introuvables en France à la fin des années 60, provenaient directement de Chicago, ramenés par le père de ce voisin, commissaire de Police à Nouméa. Au gré de son apprentissage musical, Benoit suivra le rythme des années 60 et tentera, à la fin de ces dernières, l’expérience communautaire au sein de la ferme d’Alan Jack, où il rencontrera son ami d’une vie Patrick Verbeke (ce dernier narre l’anecdote dans sa belle chanson « Mai 68 », sur son album de 2007 « Bluesographie »). Puis, au tout début des années 1970, il est parti séjourner aux Etats Unis, où il aurait côtoyé le superbe et méconnu harmoniciste George Harmonica Smith, dont il aurait beaucoup appris. Ce séjour, dont on sait peu de choses, aurait véritablement cimenté tout à la fois sa vocation musicale et son style. D’abord, le jeune parisien a foulé pour la première fois les terres louisianaises, rencontrant in vivo les défenseurs d’un terreau musical qu’il ne cessera jamais d’exploiter, du blues swamp au rock’n’roll cajun en passant par le zydeco. Ensuite, et même si cela peut sembler paradoxal, c’est à l’occasion de sa rencontre avec de véritables bluesmen américains que le jeune homme d’alors a réalisé qu’il était pour lui inenvisageable de chanter le blues dans une langue autre que sa langue maternelle et celle de son public. Il a alors pris conscience de la nécessaire interaction et communication entre le bluesman et son public, laquelle est nécessairement freinée dès lors que le public ne comprend pas la langue du bluesman. Par ailleurs, la francophonie créole militante d’une partie de la scène louisianais lui a montré que le français pouvait swinguer, pour peu qu’on s’applique… c’est transformé en Benoit Blue Boy que Benoit Billot regagnera les terres françaises, pour arpenter les scènes dès le milieu des années 1970 et défendre, dès le début, le blues en français et ses propres compositions. A en croire le témoignage de Benoit, la route fût longue jusqu’au premier album, ce dernier ressentant peu d’urgence à graver dans la cire ce qu’il défendait chaque soir sur scène. Le premier album aurait été gravé une première fois en 1977, puis les bandes auraient été accidentellement endommagées… ce que Benoit a pris pour un signe du destin en estimant qu’il était urgent d’attendre. La signature est néanmoins arrivée, sous l’égide de la maison Vogue, pionnière, presque vingt ans auparavant, de l’émergence du rock’n’roll français, et souhaitant exploiter les potentialités du renouveau du rock en français de la fin des années 70 et au début des années 80. C’est par un album éponyme que Benoit Blue Boy a démarré, en 1979, sa féconde aventure discographique.
 

 

 
Benoit Blue Boy, 1979, Vogue.

A l’écoute des premiers pas discographiques de certains artistes, dont Johnny Cash, Jerry Lee Lewis ou John Lee Hooker constituent des exemples frappants, l’auditeur ne peut s’empêcher de procéder à un constat : malgré le jeune âge, la technique rudimentaire d’enregistrement ou les progrès que l’artiste est susceptible de réaliser… TOUT EST LA ! A l’écoute de ces artistes, dès leurs premiers balbutiements discographiques, toutes les caractéristiques majeures et marquantes de leur style sont déjà réunies. Tel est le cas pour le premier album de Benoit Blue Boy : même si le son a vieilli, même si notre Hérault chante un peu plus haut, tout ce qui fait l’identité musicale du personnage est défini et présent dès ce premier disque. Cela tient à la qualité artistique des titres proposés, rôdés sur scène depuis des années. Cela tient aussi sûrement à la maturité artistique de Benoit, ayant dépassé la trentaine au moment de l’enregistrement. Première pierre à l’édifice du rock français, ce premier album éponyme reste aujourd’hui la porte d’entrée dans l’œuvre de Benoit, se composant de titres qui, dans leur majorité, vont constituer pour des années à venir, la colonne vertébrale de son répertoire scénique ainsi que ses plus belles cartes de visite, véritable bases séminales du blues en français.  

Dès l’ouverture, Benoit frappe fort : dès Descendre Au Café, le décor est planté. Sur un shuffle chicagoen endiablé, Benoit narre d’un ton traînant une dérive éthylique pleine d’humour, pour oublier les problèmes du quotidien… à tous les niveaux, le cadre est posé : le bistrot, le personnage débonnaire, la perspective d’un baston avec quelques impétrants, un refrain imparable, un jeu d’harmo très Sonny Boy Williamson II… au final,  un titre qui ne quittera jamais le répertoire scénique de Benoit, et dont l’interprétation offre toujours à ses fans le moyen de reprendre le refrain en chœur. Un must ! Suivant immédiatement cette puissante entrée en matière, Blues De Laker déboule, dans un bel habit qui aurait pu être cousu main par Muddy Waters… le thème en est le « Walking Blues » lancinant, où notre héros, qui se sent Si bizarre que ça lui fout les moules rien qu’d’y penser, hésite à tout plaquer et joue son sort en jetant une pièce en l’air. Le tricotage musical est admirable : dans une ambiance lourde qui rappelle le « Long Distance Call » du père Muddy, l’entremêlement des guitares de Didier Dupont et de l’ami Patrick Verbeke, renvoie aux plus belles heures de Muddy Waters et de Jimmy Rodgers, voire d’Eddie Taylor et Jimmy Reed (Keith Richards et Ronnie Wood, fines lames des Rolling Stones appellent ça l’art ancien du tissage), traversé par un solo d’harmonica puissant et concis, deux caractéristiques omniprésentes dans le jeu de Benoit. Sur ce premier blues lent, notre Hérault adopte cet accent traînant, directement hérité de Jimmy Reed, qui rend parfois le texte difficilement compréhensible mais apporte à la chanson une couleur inimitable, celle des plus belles heures du swamp blues louisianais.  De Louisiane, il devient pleinement question avec l’irrésistible Où Tu Cours Comme Ca, qui, avec le swing des basses chaloupées caractéristiques de Fats Domino (« I’m Walking », « Hello Josephine »), a le charme du rhythm’n’blues néo-orléanais, propulsé par piano bastringue entêtant… Pour narrer les états d’âme d’un amoureux paumé devant les contradictions de l’objet de son désir, Benoit emprunte un habillage musical haut en couleur et manifestement emprunté au «  Sea Cruise »  d’Huey Piano Smith, qui fit la gloire de Frankie Ford. Pour J’Marche Doucement, on retourne dans l’univers du Jimmy Reed de « Honest I Do », pour cette jolie ballade blues marmonnée par notre héros délaissé par sa douce qui, alors que les heures défilent au cadran, ne se décide pas à rentrer…. A mi-chemin, le solo d’harmonica et les brillantes interventions guitaristiques lui donnent cette couleur louisianaise qui sera accentuée dans les futures versions que Benoit donnera à ce titre, sur scène et en studio. « J’Marche Doucement » constitue toujours un pilier du répertoire scénique de notre souffleur et donnera lieu à plusieurs reprises, notamment par Patrick Verbeke qui enregistrera deux versions : une, dépouillée et fantomatique, au début des années 80 ; l’autre, luxuriante, enregistrée à New Orleans en 1999, à grands renforts d’accordéon cajun. A noter une différence amusante entre les versions des frères amis du blues français : parce que la douce ne rentre pas et pour éviter de s’écrouler, l’un va prendre un autre café, alors que l’autre va prendre un autre… cachet. A vous de vérifier ! Pour réveiller l’auditeur pris dans cette cotonneuse torpeur louisianaise, voilà que déboule la pétulante Angela, pour qui on ferait vraiment n’importe quoi, annoncée par une entrée à l’harmonica qui invoque l’esprit du « Juke » de Little Walter, soutenue par le swing déchaîné d’un groupe qui évoque, de façon presque mimétique, les grandes heures des écrins que Robert Jr Lockwood et Sam Carr faisaient aux pièces dansantes de Sonny Boy Williamson II, avec un rythme échevelé proche du « Caledonia » de Louis Jordan. A voir la couleur de tes cheveux prend la forme d’un boogie plus moderne, sur un accord, servant un texte serré entre les dents d’un Benoit et chanté très haut, comme plus jamais il ne le fera, tout comme le J’Vais M’Casser D’Ici envoyé à Mimie, compagne ingrate se refusant à toute tâche domestique pendant que notre héros s’épuise au travail… sur un rythme lent et lancinant, déchiré par le slide tranchant de Patrick Verbeke évoquant tant Elmore James que le Muddy Waters dernière période, Benoit sert avec brio ce thème éternel du blues, dont le « Five Long Years » d’Eddie Boyd constitue la plus belle vignette. Avec Le Blues Au Bout D’Mon Lit, Benoit signe ce qui restera également l’un de ces titres les plus emblématiques. Le thème du texte est identique au « Good Morning Blues » de Leadbelly, au « Blues Blues Blues » de Jimmy Rodgers ou au « Monsieur Blues » de Patrick Verbeke : la bête arrive au matin et ne vous lâche pas. Sur un shuffle mid-tempo, Benoit fait des merveilles sur ce titre qui reste l’une de ses signatures et un standard scénique, et qui sera souvent repris (V. dernièrement et sur scène, par Verbeke et fils). Après Angela et Mimie, c’est après Sally Ann, petite cousine de la « Sally Mae » de John Lee Hooker, que court à présent Benoit, au fil d’un blues intense et lent, remarquable par les interventions croisées et à l’unisson, de l’harmonica et de la guitare. Le tout sonne comme les belles heures de Vee Jay, lorsque Jimmy Reed et Eddie Taylor accompagnaient John Lee Hooker ! L’ambiance redevient plus légère et rock’n’roll avec le désopilant C’est Plus Cool D’Être Cool… observateur de son époque, Benoit en détourne les expressions à la mode pour croquer des petites tranches de vie, allant crescendo vers la baston (souvent présente dans son œuvre).. signe des temps, qui voit la fin des babas annoncer la tension des années 80 : le premier qui s’approche va finir par se prendre un coup d’boule ! Musicalement, le propos est rock, les riffs saignants de la Telecaster de Patrick Verbeke servant magistralement un thème très proche du Nadine de Chuck Berry. Pour clore ce premier opus, Benoit s’adonne à un boogie seventies, le bien nommé, On Va Chez Boogie, qui n’aurait pas dépareillé dans le premier répertoire de ZZ Top ou de Status Quo. Copieux opus, dans lequel Benoit pose les jalons de son style : blues puriste, couleur Chicago et New Orleans, chant traînant, harmonica concis et puissant, textes pleins de dérisions et de tranches de vie passées à la moulinette d’un réalisme second degré. A réécouter d’urgence, pour ceux qui le peuvent : l’œuvre n’a jamais été rééditée en CD !       
       
 

                                 
                                                           Original, 1980, Vogue.


Moins d’un an après son premier effort discographique, et conformément aux contrats « trois albums en trois ans » signés à l’époque, Benoit est de retour avec son deuxième opus, « Original ». D’après les dires de l’intéressé, la grande majorité des titres a été composée juste avant d’entrer en studio, la méthode étant appelée à être invariablement répétée dans la suite de son aventure discographique. Comme l’a souvent dit Benoit (dans une boutade ?), l’écriture, c’est pas bien compliqué… Il n’empêche qu’il manque sûrement à cette deuxième œuvre la maturation et le rodage scénique dont avaient pu bénéficier les premiers titres. Bien que de fort bonne facture, les titres demeurent moins marquants que ceux du premier album, et le son général de l’album paraît avoir plus mal vieilli encore. Il n’empêche que, soutenu par un groupe de base (comprenant l’omniprésent Patrick Verbeke) qui est en grande partie demeuré inchangé, l’exploitation du sillon chicagoen et néo orléanais se fait plus profond encore. Pour ces raisons, le deuxième album constitue un chaînon important dans la définition du style de Benoit, même s’il apparaît, avec le recul, d’une qualité artistique légèrement inférieure au premier. Les Ptits Boogies, titre d’ouverture, reprend le propos là où le premier album l’avait laissé, en réexploitant le rhythm’n’blues swinguant de la Nouvelle-Orléans, plein de rebondissements rythmiques… tout un programme que ces ptits boogies, qu’on aime se faire en faisant sauter les matelas et la moquette avant de r’tourner au lit. La Mauvaise Main exploite le thème de la malchance (la vie est un drôle de jeu pour les septièmes fils maudits du blues…) sur un shuffle lent et obsédant, déchiré par un robuste solo d’harmonica d’un Benoit très inspiré. Debout Sur Les Mains réexploite la thématique de « Descendre au Café », et en constitue la suite : c’est le blues du lendemain de cuite, du réveil la tête à l’envers d’un pilier de comptoir rentré chez lui debout sur les mains… La rythmique rappelle le « Let’s Stick Together » de Wilbert Harrison. Avec Les Bonnes Intentions, c’est le retour du shuffle rapide à la BBB, celui de « Combien »  et de » Descendre Au Café », sur un de ses thèmes de prédilection : l’amour vache… et ses tentatives pour quitter celle qui l’implore de revenir mais qui avait dégainé un gun à leur dernière rencontre. Chez BBB, il y a donc des bistrots… et des psychopathes ! La chanson se démarque par les excellentes interventions instrumentales de Benoit, qui signe un strident solo d’harmo en première position, tout en aigus, auquel répond avec hargne la Fender Telecaster de Patrick Verbeke. Une belle passe d’arme entre les chevaliers du blues français. Avec Lousiana, Benoit donne l’équivalent d’une version française à « Got My Mojo Working » du grand Muddy, son band réussissant l’exploit de sonner comme le band de Chicago sonnait à Newport en 1960 et notre héros se fendant d’une intervention à l’harmo dans le plus pur esprit de James Cotton. Malgré son efficacité et son exubérance jubilatoire, ce titre, qui deviendra une pierre importante dans l’édifice du répertoire de Benoît, ne parviendra à réelle maturation qu’au gré de ses réenregistrements successifs. A noter également que ce titre sera repris par l’épatant groupe constitué par les musiciens du Patrick Verbeke Trio, à savoir The Duo (Claude Langlois et Pascal Mickaelian). Avec Tu Parles Trop, Benoit enregistre sa première véritable reprise, dans un répertoire qui n’en contient quasiment pas. Ce titre du chanteur de New Orleans Joe Jones, « You Talk Too Much », a beaucoup été repris par les chanteurs français, des Chaussettes Noires à Johnny Hallyday en passant par Richard Anthony, et a semble-t-il marqué les pionniers du blues français (il en circule sur le net une version acoustique et impromptue par Paul Personne). Benoit s’approprie pleinement ce texte, drôle et bien construit par le parolier George Aber, qu’il aurait tout à fait pu écrire. Musicalement, le band insuffle pas mal d’énergie à ce standard yéyé, en le gratifiant au passage d’une intro inspirée du « Maybe Baby » de Buddy Holly (cette même intro que Téléphone reprendra un peu plus tard, note pour note, pour ouvrir leur célèbre tube « New York Avec Toi »). Les Trucs Que Tu Fais est un hybride entre le « I Wish You Would » de Billy Boy Arnold et « Willie And The Hand Jive » de Johnny Otis. Sur ce riff irrésistible, Benoit fait des merveilles à l’harmonica et délivre d’une voix très bien placée un texte tout en brisures rythmiques, d’une efficacité à casser des briques (Y'a des trucs que tu fais, qu’moi je comprends pas…). La Boum A Véro permet le retour à un peu de légèreté. Sur des riffs de piano en droite provenance de New Orleans, du Professor Longhair et autre Eddie Bo’, Benoit dresse une galerie de portraits aussi hilarante que surréaliste de fêtards bien chargés… le tout se déroule comme une comptine, tout en rebondissement et en cassures rythmiques : Nounours, Leo, Patou, les flics qui rentrent, les copains chargés comme c’est pas vrai, les substances qui circulent, les bouteilles qui défilent… on s’y croirait ! C’est épatant d’humour et d’efficacité musicale. On reste à New Orleans et au piano bastringue et swinguant pour une Louise que n’aurait pas reniée Champion Jack Dupree ou Fats Domino, sur un  thème basse piano barrelhouse qui avait été détourné en son temps par Otis Blackwell pour écrire à Elvis Presley son légendaire « Don’t Be Cruel» . Le chanteur voudrait passer avec la nuit avec Louise ce soir, et tous les moyens seront bons ! Quitte à tenter Le Tout Pour Le Tout, sur un rythme shuffle caractéristique, avec un texte et un arrangement rythmique et percutant, construit sur un décompte à la « Sweet Home Chicago » (one and one is two, two and two is four)… le message est simple : la vie est un jeu, de carte ou de hasard, autant jouer le tout pour tout. Le disque se clôt par une note douce. Dodo Lolo est une ballade atypique dans le répertoire de Benoit, dont la voix est accompagnée par un piano bastringue tendance honky tonk légèrement désaccordée. Dans cette comptine désabusée, qui emprunte résolument à l’univers de Brecht et de Weil revisités par Tom Waits, le noctambule oisif jette un œil attristé sur le sort de son pote crevé par ses journées de boulot qui commencent à l’heure où il va se coucher, et qui ne peut plus suivre le rythme de la fête. Une demi-réussite. A la suite d’ « Original », Benoit a bouclé sa collaboration avec la maison Vogue en sortant un 45 tours aux allures de suicide commercial. Catheline est une œuvre baroque, dont on ne soupçonnait pas que Benoit pouvait être le concepteur. Sur fond d’orchestre de jazz Dixieland (avec cuivres et banjos), menée par un piano fantomatique et nappée de cordes et d’orgue, le chanteur déroule une œuvre qui aurait pu trouver sa place dans le « Big Time » de Tom Waits, sans parvenir tout à fait à se démarquer d’une variété moyenne pour trouver sa place dans le délire du créateur de « Heartattack And Vine » et autres « Alice ». On l’a échappé belle : la version  initiale de cette chanson, aux intentions difficilement sondables, avoisinerait les dix minutes… sur la face B, Benoit recentre son propos autour d’un blues rock plus conventionnel, Le Blues Du Vendeur De Blues, qui espère les vendre par paquet de douze et est prêt à tous les procédés pour qu’on liquide son stock. Très oubliable. A noter que Patrick Verbeke réutilisera le même thème sur son premier album solo, en 1981, avec l’anglophone Blues « Dealer’s Blues ».



                     



                                            
                                 Plaisir Simple, 1982, Gaumont (avec les Nighthawks).

Changement de maison de disque et changement de personnel. Benoit est désormais accompagné par un super groupe de blues rock, les Nighthawks, trio blues rock sévissant dans le Sud Est de la France et emmené par le légendaire et regretté Willie Eckert parfois comparé, à l’époque, à George Thorogood. Le propos est plus rock, plus électrique et l’énergie du gang semble également galvaniser son leader, qui va radicaliser son propos. Le disque s’ouvre par un titre qui frappe haut et fort : Tu Peux Cogner. L’ambiance est tout à la fois rock’n’roll et zydeco. Le public rockab’, très important à l’époque, hurlera au plagiat : ce titre ressemble en effet, comme deux gouttes d’eau, au « Keep A Knockin’ » de Little Richard, dont Benoit aurait fait une adaptation française. La vérité est plus complexe : Benoit s’est en réalité inspiré, comme l’avait fait les auteurs de la chanson des années 20 reprise par Little Richard, d’un titre issu du folklore cajun (Tu peux cogner, mais tu peux pas rentrer). BBB a réécrit le texte, avant de la rendre plus harmonieux aux oreilles françaises et l’a réintroduit dans l’habillage rock’n’roll construit par Little Richard, en ajoutant quelques mesures et en lui conférant la couleur zydeco qui lui revenait de droit. Il poursuit ainsi la tentative qu’avait déjà fait dans le même sens Clifton Chenier, dans son superbe album « Frenchin’ The Boogie ». Le texte de Benoit (bien loin des sous-entendu salaces du petit Richard, hé hé…) est rythmique et efficace (Reviens d’main soir et puis essaye encore) tandis que l’écrin musical concocté par les Nighthawks est totalement percutant. Une vraie réussite du blues-rock’n’roll français. Le Doux, au swing nonchalant servi sur fond de clavinet, serait anecdotique sans le travail ébouriffant du gang de Villefranche sur Mer et le solo de guitare tortueux de Willie Eckert. Un écho lointain au « Do The Do » que Willie Dixon avait signé pour Howlin’ Wolf ? Le Juge est une comptine désopilante, délivrée sur un shuffle swing déroulé à fond les ballons à la manière d’un Louis Jordan et coloré à merveille par le jeu sobre et puissant de Benoit, pour la première fois doublé par des cuivres, qui marqueront de leur empreinte pas mal des titres de cet album. Ce titre sera repris avec beaucoup de talent par Steve Verbeke, émule de Benoit, sur son premier album. Sur cet album et au contact du sang neuf insufflé par les Nighthawks, Benoit innove avec C’est Pas Sorcier, qu’on croirait issu du répertoire de Dr John. Comme Creedence Clearwater Revival l’avait fait avec « Green River » ou « Born On The Bayou », l’harmoniciste brode sur le thème du vaudou, des sorts, des chauves-souris, des ossements et esprits tapis au fond des bayous… tout l’imaginaire gris-gris et vaudou de la Nouvelle Orléans est condensé dans ce titre très réussi et aussi inattendu que déroutant. Dans La vie Y A Pas Que l’argent permet à Benoit de renouer avec un blues rock’n’roll à l’atmosphère positive et exubérante, sur fond de piano et de guitare évoquant parfois la couleur du « Lawdy Miss Clawdy » de Lloyd Price. Tout est ici humour et dérision : faut de tout pour faire un monde (des petits grands, les putains et leurs mamans), mais faut surtout du blé… On se souviendra du clip rudimentaire réalisé à l’époque, montrant Benoit à la guitare au milieu des Nighthawks se déhanchant de concert. L’atmosphère est plus pesante avec Les Nuages Sont Déjà Tombés. Il s’agit en réalité d’une adaptation à peine détournée du « Little Red Rooster » popularisé par Howlin’ Wolf, dont Benoit restitue à merveille le drame et l’intensité, accompagné du slide tranchant de Willie Eckert. Climat oppressant et blues de fin du monde, coq qui chante au loin, nuages noirs et ciel qui s’assombrit : la voix de notre Hérault du blues français se fait rauque et menaçante. L’effet est détonant. Coté Sud est un instrumental plaisant, prouvant la chaleur et la cohésion du groupe qui déroule, avec une grande maîtrise, un petit frère pour le « Juke » de Little Walter, la puissance et l’énergie rock’n’roll en plus. Pour une fois, le jeu de BBB y est très électrique. Encore Un P’tit Effort renoue avec le shuffle chicagoen de Jimmy Reed, avec un effort vocal très original, notre chanteur délivrant un chant aigu flirtant avec le falsetto. Ce bel habillage musical illustre, entre deux soli d’harmonicas très drus et très électriques, les états d’âmes d’un gars accablé par les emmerdements dont l’ultime effort lui permet à peine de tenir debout. Le slow blues New Orleans est une nouvelle fois de mise, cuivres et piano en avant, avec J’vais Appeler Mon Boulot, qui deviendra aussi un standard de scène pour Benoit. Si la version est plaisante, pour ce titre comme pour d’autres, le meilleur reste à venir. Ce titre est encore un appel à la flemme… incorrigible Benoit ! L’album se clôt par le très punchy Tu N’es Plus Là, au texte dynamique et inventif, véritable inventaire à la Prévert des possessions et des chances terrestres qui ne sont rien face à l’absence de l’être aimé. Musicalement, ça frappe dur et fort… superbes Nighthawks, superbe job de Benoit à l’harmonica. Il faut dire que ce dernier peut se sentir en confiance, sur ces terres connues. Ce titre est en effet une démarcation très réussie du « Ain’t Got You » défendu dans le passé par Jimmy Reed et Little Walter. En conclusion : p…. de disque, à se renvoyer d’urgence dans les cages à miel, pour ceux qui ont la chance de posséder le 33 tours, non réédité en CD...
 
 

                          
                                       

     
                                                                         Benoit Blue Boy (D.R. : http://blueboy.free.fr/)



                                                          Tortillage, 1986, New Rose.


Après un break discographique de quatre ans, pendant lesquels il semble avoir écumé toutes les scènes de France, Benoit Blue Boy revient en force avec un album court, ou un EP (format éphémèrement en vogue à cette époque) aux influences cajuns et tejanos très marquées, ajoutées aux couleurs blues et rock’n’roll désormais habituelles. Ces titres, tous de très belle facture, bénéficient de la présence de quelques invités de marque, tels que Patrick Verbeke et Zachary Richard, qui rendent son contenu encore plus attrayant. C’est également la première référence au « Tortillage », danse dont on devine les inspirations louisianaises, traduction française du twist, auquel Benoit fera par la suite souvent référence. On l’aura compris, il s’agit d’un disque charnière, recelant son lot de titres appelés à une belle et durable destinée scénique. Tel est le cas de Combien, encore un shuffle puissant à la BBB (presque une marque déposée), aux effluves de « Sweet Home Chicago », avec une rythmique d’acier qui se prolonge dans le balancement du texte (Croix de bois, crois de fer, si j’mens j’vais en enfer…). La version délivrée sur « Tortillage » est dynamique et enlevée, propulsé par une batterie d’airain, une guitare Eckertienne très punchy, et un  Benoit en grande forme chantant haut et fort et soufflant comme un diable. Appelée à devenir un sommet scénique et un rendez-vous obligé des futurs concerts de Benoit, « Combien » gagnera immédiatement le cœur des fans. Pas Danser, sur son inédit rythme swampy propulsé par une basse presque disco (comparez avec la ligne de « Miss You » des Rolling Stones…), met en valeur un texte drôle et bien senti (Moi j’sais qu’ceux qui s’battent, c’est qu’i’savent pas danser), l’énumération a première vue absurde cachant à l’analyse une vraie philosophie de vie. Le disciple Steve Verbeke ne s’y est pas trompé en reprenant avec talent ce titre sur son deuxième album « Montreuil Boogaloo ». La Même Erreur, servie sur fond d’orgue et de guitare espagnole, avec son rythme délicatement chaloupé, nous entraîne pour la première fois chez Benoit, dans un univers de tejano music absolument voluptueux. Le frottoir cajun et le vibraphone-marimba intervenant au cœur de la chanson accentuent encore son côté exotique. Un titre très réussi qu’on aurait pu sans peine attribuer aux Texas Tornados, communiant par son thème avec les chansons mexicaines d’amours blessées : Je t’ai blessée, je suis sûrement incorrigible, mais reviens, je t’aime… L’ambiance devient un brin plus débridée avec Les Vagues, sur fond de déhanchements et de petits bateaux flottant sur un liquide qui n’est pas de l’eau. Il s’agit là d’une adaptation, très réussie et cousue main par BBB, de « The Crawl », repris en son temps, dans une version très proche, par Johnny Winter, dans son album de 1980 « Raisin’ Cain ». Sur ce rythme de twist déjanté, le groupe est époustouflant. Ambiance rock’n’roll cajun à la suite avec Oh ! Oh ! Lucie, coquine qui l’a fait brailler, qui l’a quitté pour s’en aller… jamais Benoit ne s’est autant rapproché du cœur de la musique zydeco. La couleur musicale, typique de Clifton Chénier, est restituée avec fougue et sincérité. Le soufflet de l’accordéon encore chaud, l’ambiance s’apaise avec Le P’tit Nuage, slow-blues aux couleurs qu’affectionne B.B. King… le texte est imparable (Dis-moi qu’tu m’aimes, dis le maintenant…), la voix de Benoit est douce est implorante et la chanson se clôt par un solo d’harmonica déchirant, en première position. Ce titre, tout comme « Combien », constituera dès lors un pilier du répertoire scénique de Benoit et offrira à son public des souvenirs impérissables, Benoit s’éloignant parfois des watts de la sono pour finir la chanson au milieu du public, harmonica en bouche. Sublime ! Le disque se clôt avec la petite sœur de Descendre au café, Du Sucre Dans Mon Café, appliquant, avec une certaine réussite, les recettes déjà éprouvées du BBB shuffle marque déposée. Sept titres, c’est court… on en demande encore.




                                              
                                     Benoit Blue Boy Et Les Tortilleurs, 1988, New Rose.


Deux ans après le très réussi Tortillage, gros pari discographique et musical pour BBB. Pour des raisons musicales (souci de radicalité ?) et pratiques (la nécessité de survivre en réduisant les frais afin de tourner un maximum) Benoit assèche drastiquement la structure de son groupe. Désormais, notre souffleur officie en trio. Exit la basse : la structure musicale des Tortilleurs, qui sera désormais l’appellation consacrée pour le groupe de BBB, se réduit à l’harmonica du maître, à une guitare puissante (jouée alors par François Brodin) et à une batterie expressive (Philippe « Tonton » Floris). A la tête de cette brigade légère, Benoit a sillonné pendant des années les scènes de France. Nul besoin de préciser que le son du groupe, de même que le style musical adopté, s’en est trouvé profondément remodelé. Le jeu jusqu’alors économe de Benoit est devenu très exubérant, la guitare rageuse ne laisse plus de respiration, le son est résolument roots, proche de celui d’Hound Dog Taylor and The Houserockers ou encore des Jelly Roll Kings, groupe pilier des juke joints du Mississippi et composés des légendaires Frank Frost, Sam Carr et Big Jack Johnson. Si l’expérience du trio roots dépourvu de basse n’est pas sans précédent sur la scène blues, elle l’est sur la scène française, et le trio des Tortilleurs, durant ses quelques années de service, laissera une trace indélébile dans la mémoire des spectateurs qui ont croisé leur route et entendu leur set, résolument libre et sauvage. Benoit exprimera assez souvent son regret d’être entré en studio trop vite avec cette formation, le LP résultant de ces séances étant selon lui trop en retenue en comparaison avec les prestations électriques qui furent données par la suite. Sans mettre en doute la parole de notre Hérault du blues français, ne boudons pas notre plaisir : cette série de chansons est encore une fois remarquable et le son sauvage du trio les sert admirablement. L’entrée en matière est à la hauteur des espérances : Tous Les Jours est un bel exemple de rock’n’roll cajun, servi par une partie de guitare tout en walking bass puissantes et des interventions d’harmonica aux saveurs proches de l’accordéon cajun. Encore une fois, l’amoureuse est dangereuse : Tous les jours, elle m’appelle son bébé… fais bien attention, cette vie va t’tuerLe Tortillage reste dans l’univers cajun-zydeco : on va faire une nouvelle danse, ça s’appelle le Tortillage… la musique, dansante et grisante, a des effluves de « Jambalaya ». On reste surpris par toute la palette de couleurs musicales que peut offrir ce trio rudimentaire, comme dans Déjà Prêt, superbe slow blues néo orléanais, auquel le dépouillement musical de l’ensemble apporte une touche fantomatique qui sert le texte : Pas la peine de me supplier, je suis prêt à partir, plus besoin de parler, j’vais m’en aller et jamais me retourner. Glaçant. Comment J’Vais Faire renoue avec la recette éprouvée du shuffle made in BBB, dont l’effet et le balancement sont admirablement servis par le trio. Elle Rentre Dedans, proche de tous les jours, renoue avec l’esprit du rock’n’roll cajun, pour dresser le portrait de la femme imprévisible, qui fait tout à l’envers, à l’image de la « Contrary Woman » chantée en son temps par Lightnin’ Hopkins. Le rythme est irrésistible pour servir un texte à la dérision jubilatoire… La température ne risque pas de baisser avec Pourquoi M’lLever, boogie blues sur un accord, hanté par un rythme obsédant à la Peter Gunn. Cette chanson n’aura probablement pas échappé à l’oreille du bluesman bordelais Lenny Lafargue, qui reproduira cette recette alléchante pour « Le Blues Frappe A Ma Porte », sur son album « Intemporel » de 2007. Pour en revenir à « Pourquoi M’Lever », on renoue ici avec une thématique chère à Benoit : le monde m’épuise, m’a cassé en deux, impossible de trouver l’énergie, autant rester au pieu ! Chanquis Chanque est un titre adapté par Zachary Richard, brodant sur le thème de la femme infidèle et noctambule, multipliant les « menteries » pour aller laisser le bon temps rouler dans les boites toutes les nuits ! Encore une fois, l’osmose du trio est miraculeuse, avec une mention spéciale pour le découpage rythmique implacable opéré par le batteur Tonton Floris. L’opus se clôt par Le Qu’est-Ce Qui Dit, dont le rythme et l’harmonica-accordéon cajun rappelle Le Tortillage (les deux titres auront, on le verra, une destinée commune). Peu de paroles, beaucoup de questions-réponses, un rythme endiablé de danse jambalayenne… c’est dans une liesse zydeco que s’achève ce disque pas comme les autres.




                                 
                                               Parlez-Vous Français, 1990, La Lichère.


Cet opus sera très important pour le cours de la carrière de Benoit. Commercialisé sous l’égide du label La Lichère, mené par le regretté spécialiste de jazz Patrick Tandin, il rencontrera un public nombreux, à la faveur des prémices du deuxième blues revival, qui le fera disque d’or. C’est également à cette époque que la route de BBB croisera celle de celui qui deviendra son manager et homme de confiance, l’enthousiaste et efficace Denis Leblond. Remarquablement produit, avec des chansons fortes et quelques invités prestigieux (le pianiste accordéoniste Geraint Watkins, le guitariste de blues américain Bill Thomas, le pedal-steel guitariste Claude Langlois), « Parlez-Vous Français », salué par la critique au terme d’une campagne de presse bien orchestrée, offrira à la carrière de notre bluesman français un nouveau souffle, après une fin de décennie quelque peu difficile. Pour saluer ce renouveau, Benoit va désormais prendre l’habitude de réenregistrer certains de ses anciens titres, afin de leur faire bénéficier d’un nouvel arrangement, afin de faire connaître des morceaux de son répertoire enfouis au cœur de LP épuisés… ou simplement pour son plaisir, celui de ses musiciens et celui de son public. Le titre inaugural de cet album régénérant est Elle Rentre Dedans, déjà enregistré avec la formation réduite des Tortilleurs, qui gagne ici quelques couches de guitare et un accordéon bien senti, lesquelles finissent de lui conférer sa délicieuse saveur louisianaise. Rock’n’roll cajun ! Oh Chérie Oh est un country rock impeccablement efficace, construit sur un riff évoquant le « Tulsa Time » de Don Williams ou le « Honky Tonk Woman » des Stones, au service d’un texte recélant quelques phrases d’auteurs typiquement benoitiennes, comme Fermer les yeux finit par aveuglerLa Porte En Arrière est un recyclage assez rock d’un thème traditionnel cajun, combinant intervention slide et accordéon entêtant. L’air est à la fête, les héros de la chanson sont z’allés t’au bal, et ont pas mal picolé… passer par la porte de derrière, à travers les pérégrinations du héros malchanceux de la chanson, semble être une métaphore pour désigner le moyen de se débiner afin d’éviter les emmerdes. Sur un accompagnement rythmique à la fois souple et serré, Benoit tresse quelques notes d’harmonica complétant idéalement les interventions d’accordéon de Geraint Watkins. Assis Là Nerveux renoue avec le blues à la Jimmy Reed, les différents guitaristes jouant la carte de la complémentarité pour tisser un canevas diaboliquement suggestif aux interventions de BBB, déchirantes et expressives. Cet « Assis Là Nerveux » renvoie également aux blues swampys de Slim Harpo ou Lonesome Sundown, avec un clin d’œil au bégaiement nerveux de John Lee Hooker (« Stuttering Blues »). Superbe. Petite Fille chaloupe au balancement des rythmes louisianais, pour une composition originale toute en ruptures rythmiques, traduisant bien la supplique de notre Hérault, implorant l’être aimé de ne plus le pourchasser, pour ne pas le faire espérer inutilement. On s’en doutait, la petite fille en question est volage et lui fait du mal. Ils Sont Partis est une chanson aux effluves country rock avec une gravité inhabituelle, une angoisse qui sous-tend la supplique étrange d’un gars à qui on a tous pris (matériel, amour, amis) et qui cherche à faire la peau aux ravisseurs. Déterrée du premier album, la chanson Lousiana (Moi j’veux aller à New Orleans, j’ai d’jà mon ticket à la main), bénéficie d’un traitement groovy et zydeco, avec roulement de tambours, pleinement en accord avec le sens du texte et accentuant son côté vaudou et lancinant. Qu’Est-Ce Que T’en Feras aborde de façon convaincante un rythme de rumba louisianaise pour servir un texte mystérieux et dont les aphorismes rappellent ceux de « Pas Danser ». Rescapé du premier album, tout comme « Lousiana », J’Marche Doucement est réenregistré et bénéficie d’un luxuriant traitement mêlant interventions guitaristes pleines de feeling, piano sensible et accordéon gouleyant, servi chaud chaud chaud pour un joli solo. La voix de Benoit a gagné en profondeur et son propos a gagné en distance, ce qui confère à la chanson une atmosphère flemmarde absolument délicieuse. Du premier album, on retrouvera encore la jubilatoire Angela, servie ici en trio roots dans une version surpuissante, proche des prestations scéniques du trio original des Tortilleurs. Le rythme est échevelé et Benoit délivre ici une de ses plus ébouriffantes prestations d’harmoniciste. Parlez-Vous Français est encore une nouvelle carte de visite à la palette désormais fournie de Benoit, très souvent reprise sur scène, et compilant les expressions françaises reprises par les dragueurs étrangers (Voulez-vous danser avec moi, mademoiselle), au milieu d’un texte globalement surréaliste, où l’on croise des Anges du paradis dansant le rock’n’roll toute la nuitTéléphone Port Arthur, choisi pour clore ce copieux opus, est à ce jour l’enregistrement le plus dépouillé de BBB, à la guitare acoustique, la voix et l’harmonica, marmonnant un texte droit issu du folklore cajun. Par sa cohérence stylistique et la perfection de sa production, fournie mais pas étouffante, par ses compositions toutes efficaces et remarquablement servies par son interprète, Parlez-Vous Français est une œuvre incontournable.




                                   
                                            Plus Tard Dans La Soirée, 1992, La Lichère.


Surfant sur le succès de « Parlez-Vous Français », un nouvel opus voit rapidement le jour. Après le luxuriant aréopage de musiciens qui avait donné ses couleurs au précédent opus, Benoit revient à une équipe plus resserrée. Pour faire court, c’est le retour du trio roots des Tortilleurs, augmentés d’un excellent bassiste, Jean-Marc Depeigne, dont les lignes mélodiques et groovantes vont largement contribuer à la couleur musicale de ce disque. Le titre d’ouverture, Elle Veut Vendre Ma Guitare, sur le thème récurrent de la compagne ingrate et dangereuse, a le groove d’un rock’n’roll tranquille et des couleurs cajuns peintes par l’harmonica généreux de Benoit. Sur Tes Traces est un brillant rhythm’n’blues, quelque peu lancinant, lancé à la poursuite d’une mystérieuse Rachel qui ne veut pas se laisser aimer et contraint notre Hérault à un surprenant tour de France. Dans les riffs de guitare qui ornent la chanson, on retrouve quelques effluves du standard de surf rock « Wipe Out ». J’me Relève La Nuit a un parfum de rock tejano, l’amoureux délaissé perdant la raison en tournant en rond au milieu de la nuit, hanté par le souvenir de l’être aimé. La couleur texmex va si bien au répertoire de Benoit. L’Amour, La Guerre est un swamp blues nonchalant, qui s’interroge sur les tourments de l’amour, avant, après, pendant. Le constat est désabusé : à quoi ça sert et pourquoi se faire tant de mal ? Inhabituellement tristos, le Benoit…La dérision est de retour sur T’inquiète Pas Benoit, avec un beau shuffle modèle-marque déposée BBB, qui s’est encore laissé endormir par une compagne cruelle qui l’a plumé en s’en allant. Coq En Pâte rameute les frottoirs cajuns et le swing à la Fats Domino, au service d’une mélodie, réminiscence du « Stagger Lee » adapté par Lloyd Price. Alors que le gars Benoit se sent si bien ce matin qu’il est comme un coq en pâte, le blues de noël n’est pourtant pas loin. Avec Noël Toute l’Année et dans la lignée des beaux « Merry Chrismas Baby » ou « Please Come Home For Christmas » de Charles Brown, BBB délivre son blues, sur fond de guitare égrenant subtilement des accords jazzy après les premières notes de « Jingle Bells ». On l’aurait presque deviné : Noël c’est bien, quand l’amour est parti, ça craint…Le blues swampy, très à l’honneur sur cet album, est de retour avec Ca Va T’Revenir, dressant le portrait drôle et pathétique d’un brave gars poissard auquel le chanteur recommande de ne pas trop chercher où les ennuis ont commencé. Pour Jacques A Dit, le rhythm’n’blues nonchalant est de mise, narrant une épopée délirante proche de l’histoire de « La Boum à Véro », où les flics finissent par débouler dans une fête déjantée. L’album se termine par Toujours Du Rock’n’roll, pur rock’n’roll cajun made in Benoit, enlevé et léger comme il se doit. Un bon disque, légèrement en demi-teinte, puisque coincé entre deux opus magistraux.




                                   
                                                        Couvert De Bleus, 1994, AB.


Aléas de l’industrie discographique, ne pouvant plus compter sur le soutien de La Lichère, Benoit Blue Boy est recruté, sur la demande de ces derniers et à prix d’or, selon le bluesman, par la filiale discographique d’AB Productions. Notre Hérault n’a cependant pas tardé à goûter au deuxième effet de cette conscription providentielle : votre serviteur gardera un souvenir ému d’avoir vu pour la première fois à la télévision le grand Benoit Blue Boy chanter Idiot Ou Bien Crétin un dimanche matin dans l’émission Disney Club… l’aventure ne pouvait durer, mais elle a donné à Benoit la possibilité de réaliser l’un de ses albums les plus marquants, posant les jalons de sa musique à venir tout en soldant les comptes de son passé. Au final, on en ressort Couvert de Bleus. L’album s’ouvre sur Idiot Ou Bien Crétin, shuffle swinguant appelé à devenir un autre standard scénique de Benoit, et l’un de ses titres les plus emblématiques. La cohésion du groupe accompagnant désormais le Tortilleur en chef est frappante, avec l’arrivée de Fabrice Millerioux à la batterie, de Stan Noubard Pacha à la guitare, épaulé par Frank Paris Slim Goldwasser et de la basse très efficace d’Adam Wolfaart, avec le concours ponctuel du déjà remarqué Geraint Watkins. Sur ce shuffle implacable, Benoit chante le blues de l’homme floué par une amie cruelle… tiens, tiens… Le deuxième titre est un évadé du premier 33 tours : Le Blues Au Bout d’Mon Lit, qui, avec ce groupe plus chicagoen que nature, acquière une nouvelle jeunesse et une nouvelle force. La complémentarité entre les guitares entrelacées et l’harmonica hissent sans complexe ce titre au rang des plus belles réussites du Chicago blues, toutes nationalités confondues. J’Vais Appeler Mon Boulot est également une vieille connaissance, issue du LP « Plaisir Simple », concocté en son temps avec les NightHawks. Une nouvelle fois, la mue est spectaculaire. Par la grâce de la voix de Benoit, ayant gagné en profondeur, et par le talent du gang de musicien ici réunis, le titre, initialement très plaisant, se hisse au rang de chef d’œuvre du blues néo orléanais, les arrangements rappelant les belles heures de Guitar Slim et de « The Things I Used To Do ». Avec Le Gros Lot, propulsé par un frottoir cajun, Benoit renoue avec son shuffle BBB-marque déposée dans lequel il est d’une efficacité confondante, pour croquer les illusions d’un looser misant tout sur un hypothétique tour de chance. Changé d’Avis est un blues swinguant mid-tempo partiellement acoustique, assez inédit dans le répertoire du Blue Boy : face à la proverbiale compagne cruelle, plutôt que de s’en aller, pourquoi ne pas changer les serrures et poser ses bagages devant la porte ? Les guitares sont à l’honneur, acoustiques, électriques et slides, jouées avec goût et swing. Le disque se déroule telle une vague de plaisir et au détour d’un rouleau, on retrouve encore une vieille connaissance, croisée pour la première fois en 1979 : Le Blues De Laker lui-même, plus poisseux que jamais, mais plus aéré encore, dans une ambiance qui, cette fois, doit plus aux blues lents de Junior Wells et Buddy Guy qu’aux atmosphères tendus familières à Muddy Waters. L’interaction harmonica-guitare est une nouvelle fois de très haut niveau. Pour secouer l’auditeur et le sortir de sa torpeur, Benoit déterre un skeud imparable : le légendaire Descendre Au Café, titre d’ouverture du premier album, rendu plus percutant encore par un rythme d’airain et par des années de performances scéniques. Que faut-il lire dans le réenregistrement de tous ces titres emblématiques, enfouis au fond d’un album épuisé mais constamment défendu sur scène ? Une panne momentanée d’inspiration ou la volonté de repartir sur de nouvelles bases ? Peu importe, il est inconcevable de bouder son plaisir tant ces nouvelles versions, proposées par un bluesman au sommet de son art et par un groupe d’une rare cohésion, surclassent les originales. Le deuxième à l’album est aussi à l’honneur, avec le retour de la désopilante Boum A Véro, et des personnages hauts en couleur (Nounours, Patou, Lolo).. Musicalement, le titre est largement bonifié : le piano New Orleans est magistralement joué par Geraint Watkins et la rythmique assure… Un vrai régal, à redécouvrir d’urgence. En attendant que les esprits échauffés se refroidissent, on assiste au retour du P’tit Nuage, pilier du répertoire de scène depuis sa création, sur le EP Tortillage, quelques années plus tôt. La nouvelle version ne fait pas exception à la règle : elle gagne en intensité et en profondeur, jusque dans le solo d’harmonica de Benoit, véritable tour de force d’économie et d’expressivité. Dans la foulée, on redécouvre Dans La Vie Y A Pas Qu’l’Argent, issu du LP « Plaisir Simple » et qui a marqué les esprits à l’époque. Le nouveau gang de musiciens réussit l’exploit de surclasser cet original plein d’allant, en y rajoutant une grosse dose de swing. Sur Y A Quelqu’un Qui A Parlé, le frottoir est de retour pour un nouveau blues lent, plaisant assurément mais qui peine à laisser un souvenir, à la suite de cette enfilade de chef d’œuvres. Cet album exceptionnel trouve une conclusion particulièrement roots, avec Le Ciel est Violet, joué sans basse par un trio de Tortilleurs, juste augmenté d’une guitare… sous un ciel de fin du monde, Benoit et son gang délivrent un blues minimaliste, sonnant, plus que jamais, comme les toutes premières faces de Jimmy Reed, Fabrice Millerioux parvenant même reproduire le beat hésitant du batteur Albert King. Pour découvrir BBB ou si vous ne devez posséder de lui qu’une seule de ses œuvres, ce serait sûrement « Couvert De Bleus ».


     
                                           Franck Goldwasser & Benoit Blue Boy, Cognac Blues Passions 2005 (JP Savouyaud)



 

                                                
                                                     Lent Ou Rapide, 1997, Dixiefrog.

Lent Ou rapide
a été enregistré avec le même groupe que « Couvert de Bleus », à l’exception près que la basse est à présent tenu par un nouveau venu qui va marquer de son empreinte le son des Tortilleurs, à savoir le jeune et talentueux Thibault Chopin. A cette occasion, les déjà excellents Tortilleurs prennent un rythme de croisière dont ils ne se départiront plus jusqu’à aujourd’hui. Mets Des Gants et son shuffle siwnguant est une belle tranche de philosophie Benoitienne : Si tu sens qu’tu t’enfonces, mets un grand coup de pied dans le fonds et si t’as mal aux mains… mets des gains. La section rythmique dessine à la perfection cette ambiance de shuffle soft que n’aurait pas renié T-Bone Walker. Barge et Sans Loi constitue une exception notable dans le répertoire de BBB, qui s’aventure pour la première fois dans le  blues en mineur. Notre Hérault a plusieurs fois dit, au cours d’interviews, qu’il prisait fort peu le West Side Sound, dont le style déclamatoire et emporté lui convenait mal. Pourtant, c’est bien de Chicago blues West Side dont il s’agit ici : sur un texte dénonçant la folie meurtrière qui semble gouverner le monde, bercé entre des océans de sang, et inspiré par la guerre qui faisait rage en ex-Yougoslavie, Benoit livre une œuvre poignante et intense, déchiré par un harmonica qui rappelle les plus belles heures de Sugar Blue. Le malicieux On Peut Plus En Trouver renoue avec un propos plus léger, très zydeco-rock enlevé et boosté par les guitares de Stan Noubard Pacha et de Frank Goldwasser, aux accents de Johnny Guitar Watson. Laissons à l’auditeur la possibilité de spéculer sur la nature de la denrée perdue dont il est question ici. Les fantômes de Jimmy Reed et d’Eddie Taylor sont à nouveau convoqués pour C’est Pas Le Cas, complainte flemmarde sur le manque de l’être aimé, qui traîne souvent le soir, même si le chanteur préfère ne pas le savoir. L’ambiance se fait ensuite très delta blues pour Un Petit Bébé Encore, relatant, sur un accompagnement guitaristique plus roots que nature, à la Sleepy John Estes électrifié, une soirée passée à trois : notre Hérault délaissé par sa compagne cruelle, la photo de la dite compagne et la fidèle bouteille, appelée à être dûment siphonnée. Dans cette couleur musicale rurale, l’harmo de Benoît prend, une fois n’est pas coutume, les couleurs du jeu de Sonny Terry.  Un Endroit Cool Cool est un slow blues paresseux et atmosphérique dans la lignée d’un « P’tit Nuage », plein de silences et de respirations, dans l’esprit des blues lents joués par le premier trio roots des Tortilleurs. La partie de batterie, et ses roulements arrêtés très jazzy, est prodigieuse. Le chanteur veut s’trouver un endroit cool cool, où il aurait tout le temps de perdre son temps. Philosophie benoitienne te revoilà : face aux emmerdes, la tête dans le sac et un petit roupillon… la contradiction étant au cœur de l’Homme, il s’agit juste des principes inverses à ceux professés dans Mets Des Gants. L’ambiance remonte d’un cran avec le tonique instrumental Cricketers Le Retour, hommage au mythique club de blues bordelais qui a fini par se faire bouffer par la loi du business après avoir écrit en France certaines des plus belles pages de l’histoire de la note bleue…. L’instrumental, tout en shuffle rapide et en harmo électrifié, est un clin d’œil aux séjours prolongés de Benoit dans ce club, dirigé par Philippe Combe, ami de longue date de notre tortilleur. Bon A Rien, sur un slow blues New Orleans, qui comprend une nouvelle fois la liste des récriminations de la compagne cruelle, contre notre héros qui n’est pas paresseux, mais juste fatigué ! Le shuffle BBB-marque déposée est de retour ensuite avec Du Fil Et Une Aiguille, utiles à rafistoler les cœurs cassés, brodé d’interventions guitaristiques proches du Johnny Guitar Watson première période. Grande classe ! Trop Difficile termine l’aventure « Lent Ou Rapide » avec un chaloupant R’n’B New Orleans, sur lequel un piano à la Junko Partner n’aurait pas été de trop… dur dur de joindre les deux bouts dans une époque où les prix montent sans arrêt où les bons plans sont pillés par les pistonnés. Vaste sujet. Un bien bel album, logiquement un  cran au-dessous de « Couverts De Bleus », mais qui se signale par la consolidation de la nouvelle équipe des Tortilleurs.



                                   
                               Benoit Blue Boy En Amérique, 2000, Frémeaux et Associés.


Vindieu ! Pour son premier disque des années 2000, Benoit fait fort et délaisse momentanément les studios français pour aller enregistrer à Austin ! Fini le confort ouaté, au contact des musiciens locaux, notre homme Benoit défie le temps et les éléments, pour mettre cet album en boîte en un temps record, par une température avoisinant, dans les studios non climatisés, les 45°C. Ambiance bière frappée et blocs de glaces posés devant les ventilos, logiquement éteints lorsque tournent les bandes… Sur place, l’équipe mobilisée est une team de rêve : entre autres, « Unk » John Turner, légende du Texas blues et vieux compagnon de route de Johnny Winter, à la batterie, relayé par Duke Anthony, Hector « Arana » Watt et Randy Garibay, apôtres de la Stratocaster Texas blues et surtout, la brigade cuivrée qui donnera toute sa couleur à cet opus pas comme les autres, les West Side Horns, comprenant la légende du blues texmex Rocky Morales au sax ténor et Al Gomez Jr à la trompette. Au programme, toute la palette du blues à la Benoit Blue Boy, avec un nuancier des plus fournis : Texas shuffle, Chicago blues, rock’n’roll cajun, zydeco, slow blues cuivré et ambiance tejano. Pour son album le plus américain, la personnalité de notre Hérault n’aura jamais été si bien représentée. Ça démarre fort avec Gare Ta Voiture Dans l’Allée, un Texas blues lent et épais, coloré par les riffs de Stratocaster made in l’Arana, sur fond d’orgue et à renfort de cuivres gouleyants. L’atmosphère est moite et poisseuse. Range ta voiture, éteins tes phares, viens à l’intérieur, le champagne est au frais et la soirée s’annonce chaude chaude chaude…. Hey Toi ! est un shuffle made in BBB-marque déposée, avec un  texte menaçant et marmonné (c’est la dernière fois que je m’fais avoir par toi, femme cruelle !), à l’efficacité décuplée par l’accompagnement très roots fourni par la brigade texane, biberonnée à ce genre d’élixir. L’ombre de Lazy Lester, avec qui Benoit commencera à tourner peu après, n’est pas très loin. Toujours Demain est une splendide ballade soul, moelleuse à souhait, qui voit les West Side Horns entrer en fanfare et souligner le propos du chanteur, dont la voix est ici belle et profonde. La langueur paresseuse de ce titre contribue à son indéniable réussite, jolie ballade louisianaise qui traîne les pieds juste ce qu’il faut. 10 ½ A Chez Nous est un instrumental shuffle sobre et bien mené par l’harmo-accordéon de Benoit, en hommage au petit rade tenu par un frenchy à deux pas du studio où le gang patibulaire allait se délaisser après le job. L’esprit est bluesy-jazzy, à la Gatemouth Brown. T’es La Seule, au leitmotiv obsédant (T’es la seule, c’est pour toujours, t’es la seule, t’es mon amour) nous fait regagner les berges de la ballade soul louisianaise, très à l’honneur sur cet album, et puissamment soutenue et colorée par les West Side Horns. Suit un monument du blues Tex-mex, Blues En La Noche, véritable « Stormy Monday » au guacamole, pour lequel Benoit, notable exception dans son imposante discographie, partage le micro chant avec le guitariste Randy Garibay, lequel fait des merveilles avec une partie vocale impliquée et savoureuse, soulignée par le génie des West Side Horns… Doug Sahm et ses Texas Tornados se seraient sûrement régalés de ce titre, qui, bien que signé par Benoit, sonne comme un must du blues de l’axe San Antonio-Mexico. Le blues lent néo orleanais revient avec J’Entends Ton Taxi Qu’Arrive, ses interventions cuivrées et ses parties instrumentales dignes de Guitar Slim. Le texte, plein d’humour décalé, est un régal (Hey, j’irai pas jusqu’à la gare, la dernière fois, j’ai tout porté…) : tout pour ne pas être confronté à la réalité du départ de la douce…. « Et maintenant, un rock », annonce BBB pour balancer J’Suis Pas L’Homme Qui T’Faut, boogie-rock plus que dansant, sur lequel les texans, légers et sautillants, font des merveilles. Benoit n’est pas en reste pour cet inventaire des choses que sa douce aimerait qu’il fasse alors qu’il n’en a aucune intention… le ton est à la raillerie grinçante, plein de gouaille avec un accent de titi parisien paumé au beau milieu du Texas. Tu Sais Rien est un shuffle cuivré tout droit issu de l’univers de Bobby Blue Bland, admirablement servi, une nouvelle fois, par les cuivres du West Side Horns, avec une guitare étouffée aux couleurs impressionnistes projetés par l’inoubliable Arana Watts. Tu sais pas depuis quand j’t’aime, et tu peux pas savoir combien… : du pur Benoit. Le détour par le R’n’B New Orleans paresseux se fait par le biais de C’est Moi Qui Tient L’Volant, plus vrai que nature (J’en vois qui dansent trop vite, c’est bien mieux quand c’est lent, moi j’me suis toujours dit, Benoit faut prendre ton temps… ), dans lequel notre souffleur se fend d’un solo de … sifflement, du plus bel effet. Un Sale Boulot, initialement destiné à Steve Verbeke, est un blues lent et cuivré dans la lignée des blues signés Clifton Chénier. Le thème est celui d’un polar, le sale boulot en question étant celui d’un nettoyeur…Rentrez chez Moi est inspiré du Chauffeur Blues du même Clifton, lui-même inspiré du « I Wanna Be Your Driver » de Chuck Berry,  lui-même décalqué le « Good Morning Little School Girl » du premier Sonny Boy… that’s the story of the blues ! L’ambiance est au zydeco menaçant, avec un accordéon saignant signé Don Leady. Tous les Jours est une vieille connaissance du temps de l’album des premiers Tortilleurs, véritable archétype du rock’n’roll cajun toujours croqué avec talent et passion par notre homme Benoit. Le tempo est légèrement ralenti, ce qui le rend encore plus dansant. Encore un album majeur, imaginé par un Benoit au sommet de son art et de son inspiration et secondé par une équipe de musiciens hors pair. Ces derniers feront ponctuellement le déplacement en France, notamment pour secouer le festival Cognac Blues Passions où notre homme Benoit, accompagné d’un groupe mélangeant l’équipe texane et les Tortilleurs français donnera, à l’été 2001, l’un des plus grands concerts de l’histoire du festival, dans la cour du musée écrasée de chaleur (encore !).


     

     
           The West Side Horns : Al Gomez (trompette) & Rocky Morales (saxophone), Cognac Blues Passions 2001 (JP Savouyaud)





                                   
                                          Maux D’Absence, 2004, Willing Prod. / Mosaic.  

Après quatre ans d’absence discographique et au cœur d’une période où notre bluesman a intensément voyagé (installation temporaire en Inde et au Maroc), notre homme revient avec un album aussi sobre que savoureux, Maux D’Absence. La réalisation de cet opus a été documentée par une interview en immersion réalisée, pour un mensuel rock français, par notre ami JeanDo Bernard, qui a donné un aperçu unique de l’ambiance de ces sessions champêtres dans le Maine et Loire, entre spontanéité et création collective intense. L’équipe est en effet soudée, puisque Benoit a convoqué la base fixe de ses Tortilleurs (Stan / Fabrice / Thibault), ajoutés de l’incontournable Geraint Watkins à l’orgue et l’accordéon. Boogie Woogie Tout L’Temps est un rock’n’roll texan savoureux, sur un canevas guitaristique diaboliquement tressé par Stan Noubard Pacha et rehaussé par l’orgue de Geraint, ce qui confère à l’ensemble une couleur qui aurait plu au Jimmie Vaughan de « Boom-Papa-Boom ». Le propos est simple et direct : il s’agit de faire le boogie woogie et le honky tonky… on notera l’ajout relativement inédit de chœurs, exécutés avec compétence par les Tortilleurs. Musicalement, on renoue en partie avec les couleurs de « Plus Tard Dans La Soirée » (« Toujours Du Rock’n’roll », « Elle Veut Vendre Ma Guitare »). Rentrer à La Maison est un blues swinguant, plein de chœurs, portés par une ligne de basse mélodique et chaloupée. Les paroles sont pleins de clin d’œil au tonton de cœur Clifton Chénier (Moi j’aime pas tes mauvaises manières…). La philosophie benoitienne des relations amoureuses y trouve quelques-unes de ses plus belles expressions : Pas la peine de r’tourner la nappe, y a des tâches des deux côtés… comme quoi, quand c’est foutu… Le shuffle flemmard de Jimmy Reed reprend ses droits avec Restés Collés, chaude recommandation dans un monde qui devient fou et invitation à trouver son réconfort dans le cocon de son cœur… La voix de BBB est inhabituellement grave et nonchalamment traînante, doublée à l’octave par la voix sensuelle l’invitée Véronique Sauriat. Avec Idiot Ou Bien Crétin, Benoit perpétue l’habitude prise de réenregistrer ses anciens titres emblématiques, cette fois sans ajout notable par rapport à la version de « Couvert De Bleus », les musiciens étant par ailleurs presque les mêmes. Toute Ma Vie est un slow blues néo orléanais dans la pure tradition de BBB, avec des interventions guitaristiques lorgnant du côté de Guitar Slim ou de Johnny Guitar Watson. Toute ma vie, à chaque fois qu’t’es pas là, il pleut chez moi… l’amour selon BBB. Demi-Tour A Jaipur est un instrumental shufflisant, clin d’œil à l’expérience indienne et reprenant en grande partie les recettes de « Cricketers Le Retour », gravé en 1997 sur « Lent Ou Rapide ». La machine emballée se calme à nouveau avec c’est Plus La Peine, belle ballade soul introduite à l’orgue, sur laquelle on aurait adoré entendre à nouveau les West Side Horns. Le thème en est le premier amour fané, abîmé par les épreuves de la vie, avec la perte de quelques illusions au passage… et une morale typiquement benoitienne : à quoi bon continuer ? Après ce blues épais, un peu légèreté avec une petite fantaisie zydeco, Allons Voir, où ça frotte et ça roule dans une invitation à savourer l’instant présent et à laisser le bon temps rouler… Prévoyant est une chouette ballade bluesy, traduisant, comme les autres slow blues de l’album, un certain désenchantement résigné : On sait souvent c’qu’on va perdre, va savoir c’qu’on va trouver, et le matin devant sa glace, y a que sur soi qu’on peut compter… Malgré la gravité du propos, Benoit marmonne, le sourire en coin, puis siffle. L’ambiance remonte d’un cran avec Combien, standard scénique imparable et évadé du EP « Tortillage ». Le shuffle est plus tranquille, plus assis… et donc plus puissant. Plus que jamais, ce titre est le « Sweet Home Chicago » de BBB (entre « Come On » et « Combien », l’euphonie est presque complète…). Avec Pas Prêt, Benoit retrouve le shuffle swinguant et jazzy cher à T-Bone Walker, dans lequel les Tortilleurs, au jeu velouté et idéalement balancé, font des merveilles (palme d’or à la guitare de Stan…). Pour refermer les portes de ce « Maux D’Absence », c’est encore la guitare de Stan qui est à l’honneur pour Royal Surfing Kanota, instrumental bien senti déroulé sur un riff à la « Wish You Would », dans un esprit Freddie King sixties. Un album tranquille, en demi-teinte, un peu plus grave qu’à l’habitude.



                                   

                                                            MicMac, 2007, Nocturne.


Trois après avoir donné ses Maux d’Absence, Benoit revient avec une humeur résolument cajun et zydeco. Ses Tortilleurs sont fidèles au poste, avec un retour ponctuel mais remarqué de Tonton Floris à la batterie et l’adjonction de Pascal Baco Mickaellian à l’harmonica. Jusque-Là est un zydeco jubilatoire, propulsé par la basse sautillante de Thibaut Chopin, et sur les chœurs duquel on remarque la présence du Honeyman Elmore Jazz. Encore Un P’tit Effort est livré ici dans une nouvelle version, bien longtemps celle donnée avec les Nighthawks sur le LP « Plaisir Simple ». Le gang des Tortilleurs surclasse la version originale (bel exploit), grâce aux vocaux cotonneux de Benoit et à la guitare sinueuse de Stan (ça tricote sévère derrière le maître…). Les Temps Changent, avec le retour de Frank Goldwasser pour seconder l’habile Stan Noubard Pacha, est un blues à la Slim Harpo, paresseux à souhait, grogné par un Benoit à qui l’exercice convient tout à fait. Fatalité et résignation : parfois ça va, parfois ça va moins, mais de toute façon, faut pas s’en faire, dans un sens comme dans l’autre, les temps changent. La Vie Farouche nous montre notre Hérault sous des couleurs inédites : la chanson n’est autre que la version cajun (signée Belton Richard) d’un standard de la musique folk et country américaine. Sur la mélodie traditionnelle sur laquelle Roy Acuff a signé « The Great Speckled Bird », Hank Thompson a écrit « The Wild Side Of Life », complainte sur l’ingratitude d’une femme infidèle qui délaisse son amour pour la vie nocturne et les honkytonks. A cette chanson un  brin machiste,  la pré-féministe Kitty Wells opposera, sur le même thème musical, « It Wasn’tGod That Made Honky Tonk Angels ». Ce sont bien les paroles de « Wild Side Of Life » qui sont ici funkyfrancisées, la compagne cruelle délaissant son amour pour s’en aller roder sur les bords de la vie farouche. Le texte est un régal, et l’interprétation de Benoit et ses Tortilleurs n’est pas en reste. L’accent de notre homme est plus traînant que jamais, le motif de guitare est emprunté à Jimmy Reed et on note, pour la première fois chez BBB, l’intervention d’un violon cajun. Après cet intermède countrysant, Gumbo Poulet renoue avec le swamp blues groovant délaissé depuis « Plus Tard Dans La Soirée », avec une désopilante introduction parlée en espagnol par le mystérieux guitariste Osvaldo, qui offre à cet instrumental des saveurs mêlées Tex mex et cajuns. Si J’Voulais est un titre provenant en droite ligne du « Done Got Over » de Guitar Slim (récemment repris par les talentueux Lazy Buddies), réduit à la simple expression d’un accord pour en faire un boogie à la John Lee Hooker… la chanson croque l’attentisme lymphatique dont BBB fait une philosophie de vie, pas si insouciante que ça. On prend beaucoup de plaisir à retrouver les effluves Tex mex de La Même Erreur, déjà enregistrée sur le EP « Tortillage ». La nouvelle version est instrumentalement plus riche, et l’effet en est d’autant plus détonnant. Belle ballade chicano qu’on jurerait taillée pour Willy Deville ou les Drifters, période « Save The Last Dance For Me ». Ma Chérie Ma Chérie secoue les esprits attendris avec un puissant shuffle BBB-marque déposée, traversé d’harmonica électrifié et secoué par les riffs implacables de Stan Noubard Pacha. Au programme, le point sur les escapades nocturnes d’une méchante fille, dans le droit fil du « Where Did You Sleep Last Night » de Leadbelly… Retour au zydeco, avec une reprise incandescente du C’est Tout Correct de Clifton Chénier (V. « Frenchin’ The Boogie »), lequel a pillé sans vergogne et transposé en langage cajun le « I Got A Woman » de Ray Charles, ce qui n’est pas bien grave, dans la mesure où ce dernier avait lui-même siphonné un vieux gospel, « It Must Be Jesus », pour bricoler son titre. Impossible de rester assis en écoutant la version qu’en donne Benoit, sur un texte bien macho et pleinement assumé (Moi j’ai une ptite femme, au bord du village, elle est bonne pour moi, elle reste à la maison, elle me donne de l’argent….). Une grande réussite. Le moral reste au beau fixe avec une nouvelle version d’Allons-Z-Au-Tortillage, fusionné pour l’occasion avec Qu’est-Ce Qui Dit, ces deux titres en droite provenance de l’album « Benoit Blue Boy Et Les Tortilleurs ». L’idée est bien de tortiller c’t’endroit jusqu’à minuit moins trois, ce que Benoit et son gang feront avec application à l’occasion des quelques dates fêtant la sortie de l’album. Pour en finir avec ce « Mic-Mac », Allez Tout Fait (sic) bel instrumental swamp blues, aux entrelacs de guitare et d’harmonica Leslie. Depuis une bonne vingtaine d’années, Benoit n’avait plus été aussi zydeco. Que du plaisir.



                                   
                                                           Funky Aloo, 2010, Tempo.


Pour son dernier effort en date, Benoit a adjoint aux Tortilleurs les services de Freddie Roulette, talentueux lap-steel guitariste américain, qu’il a embarqué pour un voyage dans les contrées chaudes de la musique néo orléanaise. Les hostilités sont ouvertes d’entrée de jeu par Josephine, reprise francisée du « Hello Josephine » de Fats Domino, exercice auquel s’était déjà prêté Zachary Richard, quelques années plus tôt, sur son album « Vent d’Eté ». Nul besoin de préciser que la chanson va comme un gant à notre Hérault du blues francophone. Qu’on se le dise : en 2010, l’humeur de BBB sera zydeco ou ne sera pas. Freddie Roulette est omniprésent sur ce titre, auquel il confère une touche hawaïenne inattendue. L’intervention du steel guitariste se poursuit sur l’instrumental swampy Funky Aloo, mêlant steel guitar, pédale wah-wah et harmo leslie. Le résultat est sympathique, mais traîne quelque peu en longueur. Avec PCV (Les Matins Comme Ca), Benoit déterre, vieille habitude, un titre de son premier album, qui aura presque été intégralement réenregistré au fil du temps. Le titre a gagné en swing et en légèreté. Le Chicago blues à la Muddy Waters reprend ses droits, avec un poisseux Donne-Moi Ton Bras, chanté en duo avec Lucile Mickaelian, qui rappelle les belles heures de « Maux D’Absence ». Le blues est intense, le propos est à la fois rassurant et menaçant… s’agit-il d’une supplique romantique ou d’une menace déguisée ? Superbe en tout cas. Parlez-Vous Français, le standard scénique et la carte de visite de Benoit issue de l’album du même nom, est remis à l’honneur et soumis, avec succès, au traitement steelguitar. La chanson est toujours drôle et efficace. Après ce moment swinguant, J’suis Bête de T’Aimer est un slow blues mâtiné de ballade louisianaise dans la grande tradition BBB, dans la lignée des « T’es La Seule » ou autre « P’tit Nuage ». Le thème est récurrent dans le blues et la country : j’suis bête de t’aimer, I’m a fool to love you, I’m a fool to care… comme souvent, la douce est cruelle et l’amour non réciproque…. Les obsessions de Benoit. Pour s’en remettre, il fallait bien un shuffle estampillé BBB et c’est chose faite avec Fous Tes Merdes à La Poubelle, qui n’est pas franchement une incitation à la tranquillité domestique et à la paix conjugale. Clairement, finis les sous-entendus, là, ça pète pour de bon : A chaque fois qu’t’ouvre la bouche, c’est pour dire une saloperie ! Freddie Roulette est encore à l’honneur… n’est-ce pas un peu trop ? L’espace occupé ne l’est-il pas au détriment de Stan, dont les interventions toujours brillantes manquent un peu à l’ensemble ? Louisiana est encore de retour ! Autant il est fréquent que BBB donne une deuxième chance à ses vieux titres, là, il s’agit de la troisième. La version est réussie, désormais éloignée du décalque de « Got My Mojo Working » pour se caler sur un drumming voodoo typiquement New Orleans. Pour calmer le jeu, Je Vais Me Casser d’Ici, encore un rescapé du premier album, nous replonge dans un Chicago blues épais, et l’ingrate Mimie est toujours à la fête, se refaisant tailler le portait par le slide de Freddie Roulette. Fait suffisamment rare pour être signalé, Benoit livre ensuite une reprise yéyé d’un groupe français (une première depuis le « Tu Parles Trop » des Chaussettes Noires sur son deuxième album), Le Voodoo Twist, mis à l’honneur par les Pingouins en 1962 (les créateurs d’ « Oh Les Filles », comme nous l’a rappelé le docteur Jalby). Dans cette reprise aventureuse mais totalement jubilatoire, notre homme Benoit a entraîné son vieil ami Paul Personne, avec qui il collabore régulièrement (Producteur du premier album de Backstage, Benoit a également offert deux textes à Paulo sur son album « Coup De Blues » de 2004). Le résultat est totalement enthousiasmant et reste en tête. Plus Tard Dans La Soirée, du nom d’un album de Benoit et d’un groupe éponyme formé dans sa jeunesse, est un instrumental slow blues assez roupillant et sans grand intérêt. Dimanche à Saint Ouen est un autre instrumental, plus swinguant, dans l’esprit Louis Jordan, mettant Freddie Roulette à l’honneur. On en oublierait presque qu’il s’agit d’un album de Benoit, qui présente quelques lacunes en véritables chansons. Reste Pas Là clôt l’album avec un swamp blues lent et paresseux, sur lequel la voix de BBB, plus susurrée que jamais, est à peine audible. Un bon disque, qui laisse toutefois transparaître une certaine frustration : à notre goût, Benoit n’y apparaît pas comme suffisamment présent et impliqué...


     
                             Hector Watt, Stan Noubard Pacha & Benoit Blue Boy, Cognac Blues Passions 2001 (JP Savouyaud)


Et la suite ?


Benoit Blue Boy sera sur les scènes cet été pour défendre son œuvre quasiment dépourvue de déchets. Une occasion en or pour aller rencontrer en chair et en os cet authentique bluesman, pionnier et Hérault du blues francophone, et d’en apprendre plus loin sur la présence hors norme de celui qui, comme le disait un de ses vieux LP, fait définitivement figure d’original. Hey là-bas !


Illustration en haut de la page : Sam Audrix

 

                               



                               

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