ROD PIAZZA
& THE MIGHTY FLYERS BLUES QUARTET : Soul Monster – Delta Groove (2009)
Retour du
MFBQ, c'est à dire le Mighty Flyers Blues Quartet sans bassiste de Rod
Piazza, avec un album difficile à chroniquer en cela qu'il ne faut surtout
pas le comparer aux deux précédents, For The Chosen Who et Thrillville.
Ceux-ci étaient d'un tel niveau d'excellence, tellement originaux à leur
façon, que celui-ci risque de surprendre par ce qui ressemble fort à un
retour au Rod Piazza auquel on était habitué depuis quelques décennies
maintenant. N'exagérons rien non plus, ces blues à ras de terre comme Tell
Me About It Sam à la mémoire de Sam Myers, ces boogies comme Sunbird, ces
jumps comme That's What's Knockin' Me Out forment quand même le son qui a
fait le succès de l'homme depuis 1967, quand il enregistrait son premier
album avec son groupe d'alors, The Dirty Blues Band. Depuis, George
"Harmonica" Smith est passé par là, le jeune Rod a tout appris de son
instrument, et comme ils disent là-bas, "the rest is history". Une histoire
qui se perpétue ici, avec quelques nouveaux titres signés de Rod ou du
couple Piazza, et des reprises, de George Smith justement, Little Walter,
Slim Harpo, Jimmy Reed, Big Bill Broonzy, Jimmy Liggins et d'autres moins
connus, mais aux morceaux tout aussi réjouissants, tels Ko Ko Mo (I Love You
So) de Gene & Eunice, Talk To Me de Joe Seneca qui jouait Willie Brown dans
le film Crossroads de Walter Hill avec Ralph Macchio aka le Karaté Kid dans
le rôle principal (à ne pas confondre avec le Crossroads avec… hem… Britney Spears. Arrêtez de rire), ou encore
Hey Mrs Jones de Marion Charles Miller
et Robert L. Ragan (qui ça ?). Une chouette galette somme toute, certes
moins radicalement différente que For The Chosen Who et Thrillville, mais
bien réjouissante quand même.
CANDYE
KANE : Superhero - Delta Groove (2009)
Ce neuvième album de
Candye Kane est important dans la carrière de la chanteuse, et ce à plus
d'un titre : tout d'abord, c'est celui de sa "résurrection". En effet, entre
le précédent, Guitar'd And Feathered, et celui-ci, elle a été opérée d'un
cancer du pancréas, une maladie dont peu, encore aujourd'hui, réchappent.
Ensuite, alors qu'elle craignait pour sa voix après avoir subi chimio et
rayons, on la retrouve en pleine possession de ses moyens, plus forte que
jamais, justifiant son titre de Toughest Girl Alive. C'est aussi sur ce CD
qu'elle nous présente Laura Chavez, une guitariste avec laquelle il faudra
désormais compter. En effet, la jeune femme est dotée d'un jeu original qui,
tout en puisant à fond dans l'idiome du blues, a déjà son propre phrasé, sa
propre signature, une véritable personnalité musicale qui en laissera plus
d'un bouche bée d'admiration. Enfin, la galette sort chez Delta Groove,
devenu en quelques années à peine le label de blues le plus important de
toute la côte Ouest des Etats Unis, ce qui devrait booster la carrière de
Kane. On ne peut que s'en féliciter. Pour ce qui est du contenu, il est
clair que ses récentes mésaventures ont inspiré la Diva, il suffit
d'écouter les paroles de Superhero, Hey ! Toughen
Up !, ou I'm Gonna Be Just Fine. On retrouve Candye peu
changée, si ce ne sont quelques kilos en moins et pas mal de points de
suture en plus, mais qui donne toujours la préférence à un blues qui
swingue. C'est volontiers qu'elle se prête au jeu des invités cher à son
nouveau label sans que cela n'affecte en rien son identité musicale. Une
concession peut-être, mais pas un compromis. C'est même un plaisir de
trouver Kid Ramos à la guitare sur I Like 'Em Stacked Like That et Till You
Go Too Far, Johnny Viau au sax sur Superhero, I Didn't Listen To My Heart et
Throw It In The Trash Can Love, et Mitch Kashmar à l'harmonica sur Till You
Go Too Far mais surtout en un délectable duo avec Candye sur I Like 'Em
Stacked Like That, occasion pour le monsieur de rappeler qu'il est aussi un
excellent chanteur. Mais que les titres soient de sa seule main, co-écrits
avec Laura Chavez, ou des reprises qu'elle fait sienne – on s'amusera de sa
nouvelle version de Whole Lotta Love, toujours créditée à Willie Dixon mais
cette fois-ci titrée You Need Love, dans une interprétation plus acoustique
et moins marquée Led Zep que la 1ère - c'est bien un album de Candye Kane
que ce Superhero. Alors, si vous aussi êtes fan de la dame, n'hésitez
surtout pas.
3rd ANNUAL
GROOVE ALL-STAR REVUE : Live At Ground Zero vol. 1 & 2 - Delta Groove
(2009)
Cela fait maintenant
quatre
ans que Delta Groove profite de la tenue des Blues Music Awards,
anciennement W.C Handy Awards, pour apporter sa contribution à la fête en
organisant une revue avec ses artistes la veille ou le lendemain. Le
troisième de
ces événements, qui s'est déroulé l'année dernière au déjà légendaire Ground
Zero de Clarksdale, fut enregistré pour la postérité, et voilà que le label
nous en sort des extraits sous la forme de deux CD distincts. La bonne idée
que voilà ! Leur Road Tested vol. 1 d'il y a quelques temps nous avait
emballé, l'album The Legendary Rhythm & Blues Revue paru l'année dernière est
une tuerie, vous pensez si c'est en se frottant les mains qu'on a vu arriver
ces deux nouveaux CD au courrier ! Et bé on peut vous le dire : on n'est pas
déçus ! On se met dans l'ambiance avec Los Fabulocos pour attaquer très fort
dès la seconde piste avec The Insomniacs et le titre phare de leur dernier
album, At Least I'm Not With You. Le temps pour Johnny Dyer accompagné des
Mannish Boys de nous chanter un réjouissant Everything's Gonna Be Alright
que Phillip Walker te me vous assène un Street Walking Woman à réveiller les
morts ! Puis les Mannish Boys reviennent, cette fois avec Finis Tasby aux
commandes, suivis des Insomniacs qui laissent à leur tour la place à Junior
Watson, bref c'est comme ça pendant plus d'une heure, plus de deux si vous
achetez les deux albums, tous deux à grimper aux rideaux ! Essayez
seulement d'imaginer la somme de talents rassemblée ici : Jackie Payne &
Steve Edmonson, Jason Ricci, Mike Zito, en plus des autres cités plus haut,
et tous dans les conditions du live, le tout bien enregistré, superbement
produit, que demande le peuple ? C'est le bonheur, tout simplement !
Impossible de citer un titre plutôt qu'un autre, tout, absolument tout ici
est top niveau, il n'y a rien à jeter. Que du bon, on vous dit ! De plus,
pour faire le DJ lors d'une fête, c'est carrément le panard : vous n'avez
qu'à balancer les deux CD l'un après l'autre, avec leur durée et la variété
des morceaux présents, vous n'avez plus rien à faire que la teuf avec les
autres. Elle est pas belle la vie ?
THE
INSOMNIACS : At Least I'm Not With You - Delta Groove (2009)
Left Coast Blues, leur
premier album, était porteur de belles promesses. Eh bien, promesses tenues,
leur nouveau bébé est une totale réussite ! Bien sûr, les garçons ont sans
doute mûri, mais alors que leur baptême discographique était une
autoproduction livrée clef en main au label californien, ici nos
insomniaques bénéficient du savoir-faire maison qui n'est certainement pas à
négliger. Cela dit, ce sont bien nos quatre gars du Pacific North West qui
composent, écrivent, et jouent les treize pépites que renferme cette
galette, et c'est leur indéniable talent qui est mis en valeur. D'ailleurs,
la production elle-même est partagée entre Jeff Scott Fleenor et nos
gaillards, à savoir Vyasa Dodson, chant et guitare, Dean Mueller, basse,
Alex Shakeri, piano et Hammond B3, et Dave Melyan, batterie. Ils sont
rejoints par Al Blake, des Hollywood Blue Flames, à l'harmo sur Lonesome, un
titre de Memphis Slim, Mitch Kashmar, également à l'harmo, sur Hoodooman
Blues de Junior Wells, Joel Paterson à la pedal steel guitar, mais oui, sur
Broke And Lonely, signé Johnny Otis et Johnny Guitar Watson, ainsi que par
Jeff Turmes au baryton sur Directly From My Heart To You, le superbe blues
lent de Little Richard popularisé par Sugarcane Harris, et au ténor sur
quatre autres plages. Mais qu'on se rassure, l'album n'est pas uniquement
constitué de reprises, fort bien choisies d'ailleurs. Vyasa Dodson s'est
fendu de sept originaux, tout seul comme un grand, originaux dans lesquels
on sent bien ses influences mais qui tiennent sacrément la route. Le tout
donne un petit bijou de CD où se mêlent jump blues, ballades rock, passages
à la Shadows et autres blues lents, bref un assemblage de styles aussi
plaisants que variés dont le tout forme une belle confirmation pour ces
jeunes gens auxquels on prédit un bel avenir.
BOBBY
JONES : Comin' Back Hard - Delta Groove (2009)
Lorsqu'il est apparu en
invité sur un précédent album des Mannish Boys, les amateurs de bonnes voix
se sont pris à souhaiter que le label signe cet excellent artiste et lui
produise un CD bien à lui. Vous en avez rêvé, Delta Groove l'a fait. Depuis
sa sortie, Comin' Back Hard fait les délices tant des Soul fans que des
Blues lovers, ceux qui appartiennent à ces deux catégories, eux, nageant en
plein bonheur. On en oublierait presque de se demander où ce gaillard, qui,
bien qu'en pleine possession de ses moyens, n'est plus exactement ce qu'on
pourrait appeler un "jeune talent", avait bien pu se cacher pendant tout ce
temps. D'autant que l'oiseau a quand même côtoyé du beau monde dans son
jeune temps. Pensez, il fut un temps le chanteur des Aces (avec les frères
Myers), et il a enregistré avec Charlie Musselwhite et Mike Bloomfield. Mais
bon, pour faire court, malgré un relatif succès par la suite, Bobby Jones a
vite compris qu'il ne pourrait vivre de son art et s'était éloigné des
studios, tout en continuant à se produire dans les petits clubs. Tant mieux
pour nous : on ne chante pas comme ça du jour au lendemain ! Imaginez une
voix à la B.B. King, le swing d'un Big Joe Turner, avec la gouaille d'un Ike
Turner, et vous n'aurez que le commencement d'une toute petite idée des
possibilités vocales de l'homme. Toujours est-il qu'un jour béni, il
accompagna Leon Blue, comme ça, en copain, à une séance d'enregistrement des
Mannish Boys, et comme disent les Anglophones, the rest is history. Une
histoire dont on espère qu'elle va se prolonger, parce qu'effectivement,
Jones IS Comin' Back Hard, faisant revivre le bon vieux rhythm & blues des
années soixante, se régalant – ça s'entend ! – à chanter des blues bien enlevés,
bref voilà une session qui n'a pas dû être morose ! Pour l'aider dans cette
entreprise, les suspects habituels de Delta Groove, à savoir la
quasi-totalité des Mannish Boys, le noyau dur des Hollywood Blue Flames, et
leurs invités récurrents tels Junior Watson, Lynwood Slim, j'en passe et
des pas plus mauvais. Ah, ce duo avec Finis Tasby, illuminé de la guitare de
Kid Ramos ! Mais il ne s'agit là que d'un titre, il y en a onze comme ça !
Onze perles pour un album qui est peut-être le meilleur que le label ait
sorti cette année, voire même depuis ses débuts. Si, si. Alors si après ça
vous hésitez encore, désolé, mais on ne peut plus rien pour vous.
MITCH
KASHMAR : Live At Labatt - Delta Groove (2009)
Si besoin était, les
deux
albums studio que Mitch Kashmar a enregistré pour Delta Groove prouvaient
déjà qu'on avait là affaire à forte partie. Il enfonce aujourd'hui le clou
avec un live aux petits oignons immortalisé par la radio nationale
canadienne qui a capturé cette performance au festival d'Edmonton's Labatt.
Excellent chanteur, l'homme est de ces harmonicistes généreux, au son ample
et gras qui sent bon le graillon comme on l'aime dans le Sud, que ce dernier
soit arrosé par la Garonne ou le Mississippi. Kashmar est ici secondé par un
guitariste de choix, rien moins que John Marx, présent également sur le Live
in Germany de William Clarke, l'ami disparu de Mitch qui lui rend hommage en
reprenant un de ses chevaux de bataille, Lollipop Mama de Roy Brown. La
section rythmique révèle de solides gaillards : Jimmy Calire aux claviers,
Steve Nelson à la basse et Tom Lackner à la batterie, ces derniers
ex-membres des Pontiax dont fit partie Kashmar à ses débuts du côté de Santa
Barbara. Nos cinq bonhommes nous délivrent un blues dégoulinant, bourré de
cholestérol et de testostérone, comme on les aime. Oui, mais pas que. Et
non. Mitch navigue aussi côté jazz pendant près de dix minutes en reprenant la
très bossa Song For My Father d'Horace Silver, mais c'est pour revenir
aussitôt à ses premières amours avec le Sugar Sweet de Melvin London dans
lequel se distingue le piano de Calire. Nos gaillards ne s'écarteront plus
d'un iota de la ligne directrice jusqu'à la fin du CD, à savoir : du blues,
encore du blues, toujours du blues et rien que du blues ! Aux accents
parfois chicagoans, d'autres fois plus jump, qu'importe, les garçons
excellent dans les deux styles. Au final, c'est un live plein de punch, de
bonne humeur et de plaisir partagé, au point qu'on en oublierait la
virtuosité déployée, que nous livrent Mitch Kashmar et son band. A savourer
avec gourmandise en attendant le prochain.
L'un est blanc, l'autre
noir. L'un et l'autre jouent de la batterie, de la guitare, et chantent.
L'un, Cedric, est le petit-fils et l'ancien batteur de R.L.Burnside,
l'autre, Malcolm, a joué avec tout ce qui compte dans le Mississippi blues
actuel.
Leur passion commune, le North Mississippi Hills Country Blues dont R.L.
était sans doute le représentant le plus connu, les a réunis. D'abord pour
un premier album autoproduit, Juke Joint Duo, paru en 2007 et toujours
disponible sur le Net. Puis Randy Chortkoff les remarque lors d'une jam à
l'extérieur du club Ground Zero de Clarksdale où devait se tenir le même
jour la Delta Groove Blues Review annuelle. Le première intention de
Chortkoff était de réenregistrer leur album existant mais encore
confidentiel pour Delta Groove, mais le duo ayant depuis écrit d'autres
morceaux, ce ne sont que trois titres qui doublonnent avec Juke Joint Duo :
I Don't Just Sing About The Blues, Fightin', et That's My Girl. Un autre jeune
homme qui a joué le North Mississippi Hills Country Blues – il a été
l'harmoniciste de Junior Kimbrough pendant un an – c'est Jason Ricci, et
oui, qui rejoint le duo sur She's Got Somethin' On Me, She Don't Love Me No
More et Mad Man Blues. Avec les chœurs de Bekka Bramlett & Etta Britt sur
cinq
morceaux, vous avez là la totalité du personnel. Autrement dit, le plus gros
de l'album, c'est une voix, une guitare, une batterie, et basta ! Et on se
rend vite compte que, pour le style de prédilection de nos deux lascars, il
n'y a pas vraiment besoin de plus, celui-ci visant essentiellement la
transe. Ce qui en fait le pont idéal entre les générations, les anciens
séduits par l'indéniable contenu blues de cette musique, les plus jeunes,
eux, attirés par la pulsion vitale du genre. Et c'est vrai, quel que soit
son âge, on se laisse volontiers embarquer dans cette aventure. Le blues de
demain ? Peut-être. Mais certainement un blues âpre, rude, et pourtant
charmeur, extrêmement populaire aujourd'hui, joué par deux de ses meilleurs
représentants actuels.
ELVIN
BISHOP : The Blues Rolls On - Delta Groove (2008)
Malgré une discographie
déjà impressionnante, Elvin Bishop continue de produire une musique à haute
valeur ajoutée, et c'est toujours avec une joie non dissimulée que ses fans
accueillent chaque nouvel opus. Cette nouvelle galette ne fait pas exception
à la règle, c'est toujours le blues – et plus si affinités - dans ce qu'il a
de plus fun que nous propose cet ex-hippy, et ce malgré les tragiques
évènements survenus dans sa vie il y a quelques années. Bien que Delta
Groove soit un label encore jeune – tout juste quatre ans lors de
l'enregistrement – il est une tradition maison qui consiste à inonder ses
albums d'invités, essentiellement des artistes signés par la marque, plus
quelques amis habitués des productions de Randy Chortkoff. Bishop, lui,
prend cette règle et la transcende en invitant carrément Warren Hayes, John
Németh, Angela Strehli, Mike Shermer, Terry Hank, Derek Trucks, B.B. King (ce
dernier a même droit à une mini-interview par Elvin en intro et en
conclusion de Keep A Dollar In your Pocket), Kid Andersen, Kim Wilson,
Ronnie Baker Brooks, Tommy Castro, Keith Crossan, R.C. Carrier de la dynastie
zydeco des Carrier, André Thierry, une des stars montantes de ce même
zydeco, Homemade Jamz Band, James Cotton, George Thorogood, Jim Suhler, et
toute une pléiade de gratteux et autres rythmiciens (basse, batterie,
claviers) pour une réunion qui sonne plus comme une grosse fête qu'autre
chose. Notre héros se réserve malgré tout une plage en solo avec son
Oklahoma, mais n'en doutez pas une seconde, un disque d'Elvin Bishop, c'est
Party On à chaque étage ! Bien sûr, à soixante-six ans, l'homme a des choses à
raconter, et certains titres ressemblent fort à des biographies avec
hommages à ses idoles musicales (The Blues Rolls On, Oklahoma), mais cela
n'empêche pas l'artiste de faire la part belle aux plus jeunes, se
contentant de jouer de la guitare sur Come On In This House, le titre avec Homemade Jamz Band, John Németh se taillant la part du lion question lead
vocals avec pas moins de quatre plages. Mais quelles que soient les apparences,
The Blues Rolls On reste un album d'Elvin Bishop : on y retrouve son feeling
particulier, qui sent bon le terroir et la joie de vivre. Car c'est ça, le
blues à Elvin : celui d'un jeune cul-terreux de l'Oklahoma tombé sous le
charme du blues qui, bien qu'ayant tout connu, des bouges les plus sordides
aux scènes les plus mythiques, de Woodstock et du Flower Power aux Fillmores
de Bill Graham, des amitiés enfumées période baba-cool aux liens solides
avec de vieux bluesmen, reste attaché à sa terre et à son art de vivre. Tout
ça, ça passe dans sa musique, et, tel le génie jaillissant de sa lampe - ou
de sa bouteille, pour les nostalgiques du Voleur de Bagdad, avec Sabu – se
libère dans votre environnement personnel dès que vous appuyez sur la touche
play. Alors pourquoi s'en priver ?
LOS
FABULOCOS : Featuring Kid Ramos - Delta Groove (2009)
On peut dire Delta Groove surprend, en sortant un album du
nouveau groupe de Kid Ramos qui, malgré ses origines, surgit là où on ne
l'attendait pas. En effet, si on connaît l'homme pour ses participations à
des formations plus blues les unes que les autres, dont les multiples albums
sont autant de témoignages, bien malin qui aurait pu prédire que notre
tatoué nous sortirait pareille collection de titres, treize au total,
puisant directement dans la tradition mexicaine. Mais puisque tel est le
cas, embarquez donc pour un voyage au son de la musique Cali-Mex, comme la
nomme Rubin Molina, auteur des notes du livret. Un voyage avec supplément de
bagages, puisque le Kid emporte avec lui non seulement sa guitare
électrique, mais également une guitare baryton, un "bajo sexto", et une
guitare espagnole, Jose Cuervas son accordéon, James Barrios sa basse et
Mike Molina sa batterie. Comme si cela ne suffisait pas, ils emmènent aussi
Richard Innes, qui joue d'ailleurs sur six titres, alors que Molina, batteur
en titre de la formation, ne joue que sur quatre, tandis que Lorenzo
Martinez, lui, joue sur deux morceaux. Quant à Lonesome Tears, de Johnny
Burnette, il voit la contrebasse de Johnny Bazz (des Blasters ?) et les
percussions de Ron Felton et Eddie Baytos alourdir la surcharge. C'est même
Ramos qui se colle au chant sur ce titre, les autres étant assurés par
Cuervos, en anglais comme en espagnol. Alors c'est sûr, les fans de conjunto
et autres musiques Tex-Mex, les amateurs des titres les plus traditionnels
de Los Lobos, tous les mordus de mélodies d'Amérique centrale, ceux-là
seront aux anges en écoutant ce CD. Pour les autres, et plus
particulièrement ceux qui portent Kid Ramos aux nues en le plaçant quelque
part entre les grands du Texas blues et les géants du West Side Chicago
sound, il est recommandé d'écouter l'album avant de l'acheter. Oh, ils
trouveront bien un peu de rocking blues, voire de boogie blues de ci de là
au cours de ces trois quarts d'heure de musique, mais qu'ils soient
prévenus, l'essentiel de cette galette, c'est direction Mexico - prononcer
Me-Hico – départ de Californie du Sud !
JACKIE
PAYNE STEVE EDMONSON BAND : Overnight Sensation - Delta Groove (2008)
Le troisième album de
l'association de Jackie Payne, remarquable vocaliste, avec Steve Edmonson,
guitariste émérite, et second CD pour le label californien, ne décevra pas
plus les happy few qui suivent l'œuvre du chanteur depuis ses
enregistrements avec Johnny Otis que le plus grand nombre l'ayant découvert
depuis sa venue en Europe avec son complice au milieu des années 2000. Soul
"classique", rhythm & blues - du genre "formidable" - blues bien léchés, ce
sont toujours ces mêmes bagages que viennent poser nos compères sur les
scènes du vieux comme du nouveau continent, de la même façon qu'ils le font
dans votre salon dès que vous glissez l'objet dans le lecteur de CD. Et si
cette nouvelle galette ne déroge pas à la règle, c'est avec toujours autant
de plaisir qu'on la découvre, et qu'on la retrouve à chaque nouveau tour de
manège dans la platine. De l'autobiographie chantée dans Overnight
Sensation, avec force hommages à l'appui – T-Bone Walker, Johnny Copeland,
Pee Wee Crayton, Etta James, Johnny Otis, Freddie King, Otis Redding et
d'autres, mais aussi Muddy Waters, Howlin' Wolf et Buddy Guy dans I Got A
Mind To Go To Chicago - à l'humour de Mother-In-Law Blues, en passant par
la rythmique reggae de Take A Chance On Me, Payne, Edmonson et leurs
comparses font plus que convaincre : ils séduisent, ils charment, ils
emballent, et, si vous ne l'étiez déjà, vous voilà fan pour la vie. La voix
de Jackie, la guitare de Steve, la basse de Bill Singletary, la batterie de
Nick Otis, les sax de Carl Green et la trompette de Lech Wierzynski,
rejoints ici par les claviers de Gail Deadrick, le baryton de Jeff Turmes,
l'harmonica de Mitch Kashmar et les chœurs de Julie Delgado, Melodye Perry,
Patricia Etyson et Judy Edmonson, contribuent à faire de ce nouvel album une
absolue réussite qui semble évoquer le mariage musical de Stax avec Chess,
de Memphis avec Chicago. Peut-être pas ce qui ce fait de plus moderne, mais
peut-on décemment rêver meilleure combinaison ? Et il n'est même pas
question ici de nostalgie, bien qu'elle ne soit pas interdite non plus, mais
bel et bien d'un ensemble de gens talentueux qui pratiquent leur art avec
sincérité, professionnalisme, et une sacrée expérience par-dessus le marché.
Que du bonheur, quoi.
THE
MANNISH BOYS : Lowdown Feelin' - Delta Groove (2009)
Est-ce
une impression, ou nos bonshommes ont-ils acquis plus de cohésion encore que
par le passé, reléguant ainsi les - rares - accusations de super groupe de
circonstance, voire d'opération de marketing, aux oubliettes ? Le fait est
que les Mannish Boys, s'ils ont toujours bien sonné, atteignent ici un
niveau de cohésion que bien des ensembles constitués de longue date
pourraient leur envier. Ils faut dire qu'ils en sont à leur troisième album
en studio, le quatrième de leur pourtant jeune discographie. Ajoutez à ça de
nombreuses prestations en public, et l'évidence est là : les artistes se
connaissent bien désormais, ils ont l'habitude de jouer et d'enregistrer
ensemble, et ce niveau de compétence global est parfaitement audible à
l'écoute de leur nouveau CD. Le répertoire, lui, obéit toujours à la même
règle : beaucoup de reprises, un minimum d'originaux, mais ça reste de la
création, vu le niveau d'excellence de ces dix-sept interprétations, arrangements
et improvisations compris. Quant au personnel, selon la vieille formule qui
veut qu'on ne change pas une équipe qui gagne, on retrouve Finis Tasby,
Johnny Dyer, Randy Chortkoff, Frank Goldwasser, Kid Ramos, Kirk Fletcher,
Ronnie James Weber ou Tom Leavy en alternance, et Richard Innes à leurs
postes respectifs. La surprise, c'est de trouver Bobby Jones non plus dans
la liste des invités, mais bel et bien parmi les Mannish Boys eux-mêmes. Ce
qui est bien le moins, le gaillard se taillant la part du lion question
chant. En effet, c'est à lui que reviennent sept des plages du CD, Tasby
n'en ayant droit qu'à trois, Dyer à deux, Little Sammy Davis, invité au
chant et à l'harmonica, à deux également, Chortkoff et Goldwasser se
partageant les deux restantes. L'auditeur qui n'aurait découvert Bobby Jones
qu'à l'occasion des deux plages qui lui étaient octroyées sur le précédent
album du groupe, Big Plans, sera ravi de l'aubaine. Il le sera plus encore
en découvrant Comin' Back Hard, la galette que Jones a enregistré depuis
sous son propre nom pour Delta Groove, mais ça, c'est l'objet d'une autre
chronique. Pour en finir avec le line-up, sachez qu'en plus de Little Sammy Davis, déjà
cité, on trouve également parmi les invités les guitaristes Fred Scribner et
Junior Watson, les harmonicistes Lynwood Slim et Al Blake, le pianiste Fred
Kaplan, le trompettiste Scott Steen, le saxophoniste David Woodford ainsi
que les choristes Cynthia Manley et Jessica Williams. Armés de tout ce
savoir, il ne vous reste plus qu'à glisser le CD dans la platine, et vous
laisser emporter pour un long - presqu'une heure et quart ! - voyage en
blues, un blues goûtu, gouleyant, parfois teinté de soul, qui tantôt vous
donnera le frisson, tantôt vous fera vous trémousser sur place, sans jamais
vous laisser en plan.
En effet, pas la moindre faute de goût dans ce superbe album ! Plaisir
garanti !
: René MALINES
JASON
RICCI & NEW BLOOD : Done With The Devil - Eclecto Groove Records (2009)
La polémique fait rage
chez les amateurs de blues du monde entier : c'en est-y, c'en est-y pas ?
Futur du blues, ou, au contraire, assassinat du genre ? Tant de questions,
d'empoignades virtuelles sur la toile, et tout ça pourquoi ?
Car enfin, voilà un jeune homme qui est clairement nourri au bon vieux
blues… et plein d'autres choses.
Fatalement, le résultat, c'est un mélange d'influences, pour la plupart bien
digérées et très bien restituées dans un style qui en devient un à force de
variété. Oh, du blues, il y en a, dans ce nouvel opus de Ricci et son New
Blood, son second pour le label satellite de Delta Groove. Mais pas que,
comme dirait un certain petit fanzine militant. Car le jeune Jason aime bien
mélanger des choses que son groupe et lui maîtrisent superbement par
ailleurs, non seulement en présentant des morceaux de styles différents,
mais également en mêlant divers licks et beats au sein d'un même titre.
Holler For Craig Lawler par exemple, en près de six minutes et demi en est une belle
démonstration. C'est globalement funky avec des breaks tantôt jazzy, tantôt
plus rock, avec solo d'harmonica virtuose - j'en vois déjà qui tremble rien
qu'à la juxtaposition de ces deux mots ! – autre reproche que lui font les
uns quand les autres s'extasient devant l'indéniable talent de Ricci sur le
petit instrument. Mais que les partisans du "less is more" se rassurent, le
gaillard sait aussi ne jouer que la note qui va bien là où il faut lors
d'autres interventions plus sobres réparties, certes avec parcimonie, sur la
galette que voilà. Bon, d'accord, le p'tit père Ricci préfère généralement
"envoyer" et il ne s'en prive pas ici. Mais virtuose ou modéré, blues ou pas
blues, voire psychobilly punk à l'occasion (I Turned Into A Martian), Jason
Ricci and New Blood, c'est quand même un sacré gang de bons musiciens
capables de vous pondre un excellent album de… musique, quel que soit le nom
que l'on donne à cette dernière. La preuve, le présent CD. Bon, allez une
petite réserve, juste pour ne pas passer pour un benêt béat d'admiration
devant tout ce qui semble nouveau : il y a un titre dont l'auteur de ces
quelques lignes se serait bien passé. Quant à vous dire duquel il s'agit,
bernique. C'est affaire de goût personnel et n'a donc pas vraiment sa place
dans une chronique qui se veut honnête, à défaut de totalement objective. A
l'impossible, nul n'est tenu.
N'empêche, plutôt que d'alimenter la vieille querelle des anciens contre les
modernes, on préfère conseiller à tous de jeter une oreille sur ce Done With
The Devil. Des fois que chacun y trouverait sa pitance.
THE SOUL
OF JOHN BLACK : Black John - Eclecto Groove Records (2009)
C'est
avec The Good Girl Blues, son second album, que John Bigham alias The Soul
Of John Black s'est fait connaître chez nous, merci en grande partie au
Collectif des Radios Blues. Est-ce à dire qu'avant ce Good Girl Blues, on
avait affaire à un parfait inconnu ? Que nenni. L'homme a un CV à faire
pâlir les meilleurs requins et autres galériens du gig de la mort qui tue de
la planète et ses environs, ses principales lettres de noblesse étant
d'avoir fait partie des groupes de Miles Davis et du toujours actif et non
moins légendaire Fishbone, l'un ayant pratiquement inventé la fusion,
l'autre l'ayant porté jusqu'à des extrêmes, espaces auparavant inexplorés
mais toujours hautement festifs. Aussi, il n'est pas étonnant de voir notre
homme réussir haut la main dans un domaine où tant se sont cassé les dents,
à savoir le mélange des genres. Il y a chez John Black de la soul avant tout
– très belle voix d'ailleurs – mais également du blues, du reggae, du hip
hop, du funk, bref de pratiquement tout ce que la musique noire américaine a
apporté au monde depuis plus d'un siècle. Et avec quel bonheur notre
trublion nous mêle tout ça ! Difficile en effet de ne pas se secouer la
couenne à l'écoute de ses albums, dont ce Black John, qui sort chez Eclecto
Groove, tout aussi convaincant que son prédécesseur. Ce qui n'empêche
nullement de vibrer au plus profond à la seule écoute de ce chant habité. Le
nom du label se prête d'ailleurs fort bien à une description succincte de la
soul à John Black : c'est en effet éclectique, et ça groove du feu de dieu.
Il y a cependant une unité certaine dans le son général de l'album, où les
guitares à résonateur viennent souligner ces beats d'aujourd'hui. C'est ça
The Soul Of John Black : passé et présent réconciliés en des sons qui
chatouillent l'âme tout en vous foutant de sérieuses envies de gigoter.
Amateurs de musiques Afro-Américaines, unissez-vous, it's groove time !
ANA POPOVIC
: Blind For Love - Eclecto Groove Records (2009)
Exceptionnellement, je
vais faire l'impasse sur une leçon que m'avait enseigné Etienne Guillermond,
seul maître à bord après Dieu de la défunte publication Travel In Blues au
siècle dernier : ne jamais employer la première personne du singulier dans une
chronique. On parle d'un disque, pas de soi.
Mais là, il me semble important de situer : Ana Popovic, comme tout un
chacun, je l'ai vue arriver sur la scène européenne il y a une dizaine
d'années environ, mais, contrairement à l'enthousiasme général, je n'ai pas
été impressionné. Depuis, elle a sorti d'autres albums, je l'ai croisée dans
les studios de Radio Aligre pour l'émission Horizon Blues, je l'ai vue au
New Morning et à Cognac. Et en live comme sur le plastique, les seules
choses que j'ai jamais éprouvé à son écoute étaient soit l'indifférence,
soit l'ennui. Et puis Eclecto Groove m'envoie son nouvel album, et je me dis
que je vais quand même l'écouter, ne serait-ce que par honnêteté envers le
label, mais vous aurez compris que je ne m'attends pas à grand chose.
Et alors là, pour une surprise, c'en est une, et de taille ! Conquis, le
Malines !
Retour à la normale : on parle plus de moi, c'est promis. Blind For Love est un bel album, plein de chansons que la belle a écrites de
sa mimine et arrangées toute seule comme une grande ou en collaboration avec
l'un ou l'autre, reportez-vous au livret pour les noms. Elle les chante
bien, si si, et son jeu de guitare a progressé au point qu'elle peut
désormais se passer des effets d'esbroufe qui faisait l'essentiel de son
talent par le passé. Quant aux styles, ils sont variés, mais toujours de bon
goût, y compris quand elle revient au blues-rock qui a fait son succès :
même là, c'est plus du tout bourrin. Mais la jeune maman a assimilé bien
d'autres choses dont elle nous fait profiter ici : son jeu en acoustique est
aujourd'hui excellent, sa slide sur Putting Out The APB, qui sonne comme un
gospel endiablé ;) est digne des artistes de Sacred Steel. On trouve aussi
de belles ballades, du rhythm & blues / soul avec cuivres autoritaires, du vrai
funk qui
fait bouger le popotin, bref un tas de choses différentes dans lesquelles
Ana fait la preuve de toutes les nuances, vocales et guitaristiques, qu'elle
maîtrise désormais.
L'album de la maturité ? Espérons que l'avenir confirmera. En attendant,
c'est avec un plaisir non feint que je (allez, c'est la dernière fois !) me
réécoute cette réussite de CD.
MIKE ZITO :
Pearl River - Eclecto Groove Records (2009)
Deuxième album après
Mike Zito Today sur le label californien pour ce jeune homme, et il faut
bien avouer que, malgré l'à priori défavorable du chroniqueur pour tout ce
qu'habituellement on peut ranger sous l'étiquette "blues-rock", la surprise
est plutôt agréable.
Bon chanteur à la voix chargée de "growl" (traduisez "grasseyante"), le
gaillard est, bien entendu, un guitariste avant tout, comme tout
blues-rocker qui se respecte. Mais là où il surprend, c'est que ses soli,
s'ils sont souvent ravageurs et flamboyants comme l'exige le style, sont
loin d'être futiles ou simplement bavards, sans véritable idée musicale. En
d'autres termes, guitaristiquement parlant, Mike Zito a des choses à dire et
il ne se prive pas d'en faire état. Doté d'un joli doigté, il ne se contente
pas de nous faire la démonstration de sa technique, mais, bien au contraire,
il la met au service d'un discours cohérent dans lequel l'imagination et le
bon goût sont à l'honneur. Mieux, Zito ne se contente pas d'être un meilleur
gratteux que ce à quoi nous a habitué le genre : le garçon sait aussi écrire
de chouettes petites chansons, dans des styles suffisamment variés pour
maintenir l'intérêt de l'écoute du début à la fin du CD. Neuf des treize
titres présentés sont de sa plume, parmi lesquels le morceau qui prête son
titre à l'album, titre qui a bénéficié de la collaboration de son invité
Cyril Neville tant au chant qu'à l'écriture. Les autres "guests" sont Susan
Cowsill, au chant sur Shoes Blues, Anders Osborne, chant et guitare
acoustique sur One Step At A Time, Lynwood Slim, harmonica sur Last Night, Jumpin' Johnny Sansone, accordéon sur
Dead Of The Night, et, à tout seigneur
tout honneur, Randy Chortkoff à l'harmo sur Born Blind.
Que les propos ci-dessus n'effraient pas les anti blues-rock : on est
souvent plus près du meilleur de Tinsey Ellis que de Gary Moore, et jamais
on ne s'approche de Sa Tonitruance Popa Chubby. Et quand il ne colore pas
son blues d'un zeste de funk à la Albert Collins, histoire de vous faire
remuer le popotin, Zito va même jusqu'à s'aventurer sur des terres non
bluesicales, sans perdre l'amateur en route pour autant. Non, Mike Zito
réussit là un très bon album qui, s'il est assez éloigné des rives du
Mississippi dans la forme, n'en reste pas moins un excellent moment de
musique actuelle.